Il y a de ces journées. Celles qui sont belles, qui offrent des sourires sur les lèvres. Il lui en faut peu, à Lizzie, pour sourire et oublier ses démons. Il lui en faut si peu qu’un tour d’horizon dans la librairie fait naître dans ses yeux les étincelles. Elle les connait, mieux qu’elle-même, ces rayons. Elle s’y sent bien, trop bien parfois qu’elle n’a pas envie de quitter les lieux. Elle le sait, elle pourrait s’installer à la table là-bas, près de la lumière naturelle qui traverse les fenêtres et ne plus bouger, prise dans les pages d’un nouveau roman.
Mais aujourd’hui, elle s’empresse, elle range vite, nettoie les quelques poussières invisibles, remet les livres à leur place. Rituel du soir. Elle aime partir l’esprit libre. Elle aime quitter ces lieux en les sachant paisible et propre. Parfois, elle en fait trop. Parfois, elle ne se rend même pas compte qu’elle dépasse largement l’heure pour un détail. Un infime détail qu’elle sera la seule à voir. Lizzie, elle en a besoin. Elle s’apaise dans les détails perfectionnés, dans cette symétrie qu’elle crée volontairement. Elle s’épanouit devant les étagères parfaitement rangées. Aujourd’hui, malgré l’empressement, elle ne néglige pas les étapes de son départ.
Un tour de clé.
Vérifier.
Se retourner, partir.
Faire demi-tour, recommencer.
Elle ne quitte les lieux qu’avec ce sentiment apaisé. Rassurée. La douce pâtisserie qu’elle a commandé à sa collègue sous le bras. Lizzie, elle aime ça, faire des gâteaux, mais elle n’a pas l’égal d’une professionnelle. Elle le sait. Elle a goûté, de nombreuses fois. De trop nombreuses fois depuis qu’elle travaille à la librairie, mais qui est-elle pour se priver des belles choses ? De ces douceurs sucrées ? Elle mentirait. Lizzie, elle se délectera de ce qu’elle a pris, une tarte aux fruits exotiques. Un régal pour les yeux, pour l’odorat. Elle se retient de piquer rien qu’un petit morceau.
Ce soir, Lizzie est invitée. Pressée, bien contente de retrouver son amie.
Elle a peine à croire qu’il y a déjà plus de deux ans qu’elles se sont rencontrées. Au détour d’un cours de yoga - un échec pour la pauvre Lizzie, trop énergique pour parvenir à se canaliser. Puis, dans cette jolie boutique, dans l’espoir de se détendre, d’apaiser les craintes et le stress qui l’envahissaient sans ménagement. Et finalement, dans cette échange de rue, un peu violent, un peu surprenant. Et pourtant, le début de tout pour elles. De tout ce qu’elles ont construit. C’est solide, elle le sait. Elle a confiance, Lizzie. Elle se pose peu de questions lorsqu’il s’agit de Noomi. Moins de craintes de trahison, moins de peur d’être laissée.
Est-elle assez ? Est-elle trop ?
Elle donne beaucoup, Lizzie. Bien plus qu’elle ne le devrait.
Avec Noomi, elle en fait souvent trop, elle le sait. Elle se sent parfois de trop, mais elle veut tant l’aider, tant lui apporter son soutien que rien ne l’empêche.
Elle a pris un taxi, s’évitant rêveries et autres moments d’égarement. Lizzie, elle discute même avec le chauffeur, elle sait qu’il n’en a pas l’habitude. Elle, elle fait tout le temps. A chaque fois. Sauf quand elle comprend qu’elle gêne, quand elle sent dans son échine les regards entendus et qu’elle entend les soupirs incontrôlés.
C’est énergique qu’elle arrive à sa porte. Un sourire sur les lèvres.
Elle frappe.
Ses doigts se tordent un peu. Appréhension.
Et si elle s’était trompée de jour ?
Inspiration, longue et profonde pour mieux souffler. Détente.
Enfin, la porte s’ouvre sur son amie. « Salut ! Je ne suis pas trop en retard, j’espère ? » Elle ne l’est pas, elle ne l’est jamais. Et quand bien même elle le serait, Noomi ne le lui dirait sans doute pas. « Je t'ai apporté le dessert. Tu aimes les fruits exotiques ? » Soudain, elle panique. Et si ce n'était pas le cas ?

@Noomi Kennedy