Flashback. Mai 2024. Chez les Giordano.
tw. deuil. suicide.
Le choc est réel. Bel et bien réel. D’abord Alessio en octobre 2023. Puis, Emily il y a quelques jours. Ils sont tous partis. L’appartement autrefois si vivant, si bruyant est devenu un sanctuaire. Les invités ont quitté les lieux eux-aussi, le laissant seul … complétement seul dans cet appartement désormais gargantuesque. Certains ont essayé de le prendre dans leur bras, de lui donner une tape amicale dans le dos mais il semble hermétique au moindre signe de tendresse. Il semble hermétique au moindre commentaire. Aucun de ses sens ne fonctionne. Il est comme vide. Benicio entend la porte claquer et imagine que c’est bel et bien la dernière personne invitée qui vient de quitter les lieux … il l’espère car il ne veut plus se tenir debout, il ne veut plus entendre parler d’Emily, il ne veut plus entendre de condoléances … il n’en peut plus.

Emily est partie. Elle l’a abandonné et il lui en veut. Oh oui, il est en colère. En colère de se retrouver ici, seul, sans elle. Cigarette entre les lèvres, il est assis sur le bord du canapé, les coudes posés sur les genoux. Il ne sait pas trop quoi faire, quoi dire. Il est comme mis sur pause. Il se libère soudainement de sa cravate qu’il détache et se laisse tomber en arrière sur le canapé pour cracher la fumée. Aucune larme ne coule. Il n’en a plus. Sa tête tourne vers le côté quand il aperçoit une silhouette. Oh, il y a encore quelqu’un. Rox. Il désigne d’un signe de tête la place libre à côté de lui. La meilleure amie d’Emily avait elle-aussi perdu son époux --- ou du moins, c’est ce que les faits disaient, il sait combien elle ne s’y accroche pas, croyant dur comme fer qu’il est vivant, quelque part. Et, Ben a la pudeur de ne jamais la contredire sur ce sujet.

« Je déteste cet endroit --- », lâche-t-il soudainement en désignant cet appartement. Il déménagera quelques mois plus tard, ne supportant plus d’être entouré par tous ces souvenirs. Il soupire. « Elle est partout. Partout et nulle part --- j’arrive pas à croire que c’est ça maintenant ma vie, sans elle, sans eux --- ce vide, ça va me rendre dingue … », nouveau soupir.

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Machinalement, il s’empare de la bière tendue et accueille Roxane à ses côtés. Elle pose la tête sur son épaule et saisit sa main sans qu’il n’en ait vraiment conscience. Son corps tout entier est endolori. Il est comme anesthésié. Benicio est même assuré ne plus jamais être capable de ressentir quoique ce soit. Son monde s’est brisé à tout jamais. Il a tout perdu. Il les a tous perdu et il se retrouve seul. Absolument seul dans cette vie qu’il aurait souhaité tellement différente. « Tu peux venir chez moi, tu sais. Moi aussi, j'ai une grande maison presque vide. Et une chambre d'ami. » Il balance la capsule de la bière sur la table basse avant de prendre une longue gorgée de sa bière. Non, il ne trinque pas. Il ne trinquera sans doute plus jamais. Il agit de manière mécanique, robotique. Il essaie tout simplement de survivre, du mieux qu’il peut. « Ou je peux rester, pour ce soir si tu veux. La nanny des enfants n'y verra pas d'inconvénients. » Benicio tourne la tête vers elle. « Merci », ce qui signifie « oui » ? Il essaie un sourire mais c’est bien trop compliqué. « Je sais que je vais devoir trouver une solution --- que je vais devoir réussir à aller dans la chambre, --- à ranger ses affaires --- je le sais. Cette maison est devenue un putain de sanctuaire. » Nouvelle gorgée de sa bière. Il ferme les yeux et laisse la tête retomber sur le dossier du canapé.

« Tu sais ce qui me rend dingue ? » Il tourne la tête vers elle. « C’est ce pourquoi --- elle n’a même pas laissé le moindre mot --- rien --- et j’ai cherché, crois-moi --- elle est partie sans dire le moindre mot --- »

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« Je peux le faire, si tu veux... Je peux m'en occuper pour toi. » Il fait claquer sa langue après avoir avalé sa longue gorgée de bière. Il aimerait pouvoir avoir la force de lui dire qu’elle n’a pas besoin de lui donner un coup de main, qu’il y arrivera mais il s’était écroulé quand il avait sorti les vêtements de la machine à laver et qu’il était tombé sur un des tee-shirts d’Emily. Il avait pleuré pendant des heures. Comment pourrait-il survivre à ses armoires, ses affaires, ses secrets ? Il fronce les sourcils et se mordille la lèvre inférieure de manière nerveuse. « T’es sûre ? Parce que moi je suis certain de pas y arriver --- », il ne veut pas, il ne voudra pas … peut-être qu’il regardera de loin mais il ne se voit pas encore avoir la force de l’effacer … car ça serait ça, l’effacer. Les paupières se ferment une seconde.

« Je n'ai pas la réponse... Et pourtant, j'aimerai pouvoir te l'apporter. Je n'ai rien vu non plus, tu sais... » C’est presque rassurant de l’entendre. Il n’est pas le seul à avoir été secoué et surpris. On le lui disait : si elle avait été décidée à partir alors elle partirait … que ce soit ce jour-là ou un autre. Benicio a néanmoins le sentiment qu’il aurait pu changer la donne. Il est convaincu qu’il aurait pu la convaincre de rester, de se battre, de continuer avec lui. Il en est convaincu. Si seulement il avait vu combien elle allait mal… Il déglutit avec difficulté. « Elle ne m'a rien dit… Mais j'aurai dû le savoir. Elle n'était plus la même depuis... » Il acquiesce. « Plus rien n’était pareil depuis --- », un soupir s’échappe de ses lèvres. « Et maintenant plus jamais rien ne sera pareil --- » Il hausse légèrement les épaules. « Je suis là comme un con, sans mon fils, sans ma femme --- », il tourne la tête vers elle, « promets-moi de jamais me laisser, Rox --- de jamais me faire ce coup-là, de disparaître, d’abandonner --- quoiqu’il se passe, quoiqu’il arrive --- je te jure que je supporterai pas le moindre drame supplémentaire »

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« je le ferai. » un soupir de soulagement. une main posée sur son genou. il la remercie en silence. a sa manière. il serait incapable de faire le tri dans ses vêtements, découvrir de potentiels secrets --- il ne supporte pas l’idée de la voir « disparaître ». son regard se pose alors sur son alliance. comment allait-il pouvoir vivre sans elle ? « tu ferais sûrement pareil pour moi si on m'annonçait que brad était décédé, non ? » il acquiesce d’un signe de tête. une évidence.

et la peur de la voir disparaître à son tour s’empare de lui. il ne supporterait plus le moindre drame supplémentaire. la vie a suffisamment foutu le bordel pour le laisser tranquille quelques années, le reste de ses jours ?! oh oui, il aimerait pouvoir avoir une vie calme, s’y habituer… il se laisse couler dans les bras de rox. « je ne t'abandonnerai pas. jamais. tu pourras toujours compter sur moi, ben. peu importe l'heure du jour ou de la nuit. peu importe la raison. » les paupières se ferment. il étouffe un sanglot avant de finalement pleurer dans ses bras. enfin. les larmes sont toujours là. il pensait ne plus en avoir. il pensait ne plus être capable de pleurer mais apparemment, tout était encore possible. il reste dans ses bras de longues minutes --- jusqu’à ce que les sanglots disparaissent et qu’il reprenne une profonde inspiration, et même son élan pour se détacher de son étreinte. les paumes de ses mains se posent sur ses yeux et il essaie de respirer profondément.

« j’arrête pas de me demander si --- ça va ressembler à ça --- ma vie --- maintenant --- chialer --- être en colère --- essayer de comprendre --- putain --- », il soupire lourdement, « je lui en veux, rox --- je lui en veux à un point --- tu peux même pas imaginer --- et je me déteste de lui en vouloir. »

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« j'imagine que la douleur et la colère s'atténueront petit à petit. »
« et si c’est pas le cas ? si je reste comme ça … »
l’éventualité est pas si folle que ça vu comment il se sent à cet instant. il cligne des yeux, passe vaguement la main sur ses cils pour effacer – du mieux qu’il peut – les larmes qui s’y accrochent.
« tu as le droit de lui en vouloir, ben. moi aussi je lui en veux... parce qu'on aurait pu l'aider, lui tendre la main... elle a été égoïste et tu as le droit de le penser. elle n'a pas voulu montrer sa peine et sa détresse, mais... »
un silence s’installe. il renifle parfois bruyamment, boit quelques gorgées de sa bière et finalement, il brise de nouveau le silence en reprenant la parole.
« elle n’a pas laissé le moindre mot. des fois, je me dis que c’est peut-être parce qu’elle ne voulait peut-être pas vraiment mourir --- des fois, je me dis que c’était peut-être juste un appel au secours --- et que j’suis resté trop longtemps sur le terrain --- que j’aurais pas dû aller bosser, j’aurais dû l’appeler --- des fois, je me dis que si j’avais pris mon téléphone sur moi, si je l’avais appelé ou même juste envoyé un message --- » plus il parle et plus il s’enferme dans son monde de fantaisie, un monde où il aurait pu la sauver, où il serait rentré plus tôt du travail, l’aurait retrouvé et aurait pu la sauver … car sauver des vies, c’est son boulot, non ?