Depuis quelques jours, il était à Brisbane. Un retour aux sources comme il l’appelait. La démarche est assurée … mais il a souvent besoin de repos. Ne pas s’exténuer. Ne pas forcer. Dites-ça à un homme, qui a passé sa vie à forcer, à pousser son corps à ses limites. Impossible ! La douleur se fait lentement ressentir et il sait qu’il commence à boîter. Un signe précurseur du fait que c’est le moment de faire une pause, une vraie pause. Son regard se pose sur son neveu et il a le sentiment que ce dernier comprend et lui ordonne de se poser. Alors, oui, c’est en boitillant un peu qu’il finit par prendre place sur un banc, laissant s’échapper un soupir quand ses fesses rencontrent le bois. Un soupir de soulagement. Une main se pose sur sa cuisse et il tend la jambe pour enlever la pression de la prothèse sur sa peau. « Juste quelques minutes de pause et après on se remet en route, buddy », dit-il en décochant un clin d’œil à Nolan. « Tu sais quoi ? on va même faire une photo pour maman, histoire de la rassurer … de lui prouver que je suis le meilleur des baby sitters », il lui avait dit qu’il s’occuperait de son neveu pour cet après-midi, lui laissant la possibilité de faire ce qu’elle voulait. Un peu de liberté. Il lui avait dit : va chez tes amies, coiffeur, manicure, esthéticienne, fais ce que tu veux mais prends du temps pour toi. Après tout, ils allaient désormais former une équipe. De nouveau, le duo Hamilton.

Son téléphone de sortie, Braxton se met à prendre la pose tout en faisant quelques bruits ridicules pour attendrir son neveu … quand son regard croise une silhouette qu’il reconnaîtrait entre mille.

D’abord, ce n’est qu’une silhouette.
Ensuite, elle se retourne.
Et leurs yeux se rencontrèrent. Une nouvelle fois. Le même effet. Les traits de son visage se figent. Son sourire demeure néanmoins accroché à ses lèvres. Le temps semble s’arrêter. Tout disparaît. Les bruits disparaissent, s’évanouissent. Elle est là et il ne voit qu’elle. Est-ce que son cœur vient de rater un battement ? Ou est-ce que son cœur vient de battre à nouveau ?

Elle s’approche. Il retient son souffle.
Elle s’approche. Il découvre les traits de son visage qui n’ont pas changé malgré les treize années qui les séparent. Sa première pensée : elle est toujours aussi magnifique, rayonnante, élégante, envoutante, déconcertante … Comment est-ce possible qu’elle ait toujours cet impact ? sur lui ? sur l’univers ? Ses lèvres s’étirent un peu plus – il semblerait qu’il soit de nouveau aux manettes de ses zygomatiques et contrôle de nouveau l’expression de son visage. Un miracle ! Il ne rêve pas. C’est bel et bien elle. Sa main tient toujours celle de son neveu mais il finit par la lâche quand elle est face à lui. A son timide « salut », il répond un tout aussi timide « salut ». Un murmure. Ce salut lui prouve qu’il respire. Il est toujours en vie. C’est bon signe. « Je ne savais pas que tu étais ici.  » Braxton hausse les épaules, son regard se pose un instant sur le dogue allemand avant de retrouver le regard de celle qui avait été la seule en possession de son cœur, la seule à avoir été aimée, vraiment aimée par Braxton. « Je suis rentré il y a quelques jours, oui », dit-il comme si c’était une banalité, après avoir dégluti et s’être redressé. « Je suis chez Lou, le temps de trouver quelque chose --- », pourquoi est-ce qu’il lui raconte ça ? Il se tait … sa voix s’arrête et il sourit, secoue la tête en étouffant un rire qui se veut nerveux. « Woh, désolé, je ne m’attendais pas à te tomber dessus --- si j’avais su, j’aurais préparé une meilleure réplique que celle-là. », dit-il en pointant du doigt le dogue allemand, un sourire aux lèvres.  

« Je ne sais pas s'il y aurait eu une bonne ou une mauvaise réplique. » Il secoue la tête de droite à gauche, essayant de se convaincre du fait qu’il n’y avait pas de mauvaise réplique. Expliquer venir crécher chez sa sœur cadette, ça ne faisait pas forcément partie des meilleures répliques … même s’il était plutôt heureux de cette situation. Lou lui avait manqué pendant toutes ces années. « Je suis contente de te voir ici. » Elle le prend à dépourvu si bien qu’il ne sait pas quoi répondre alors il ne dit rien, il sourit comme un idiot en espérant qu’elle comprenne que la réciproque est tout aussi valable. Il est heureux de la voir ici, ou ailleurs en fait. Il y avait souvent pensé … à de possibles retrouvailles, dans un avion, sur un vol … à l’aéroport. Il avait espéré et les années étaient passées … et l’espoir était devenu un rêve, le rêve un fantasme, le fantasme un souvenir coincé dans son esprit. « Je ne savais pas que tu avais eu un enfant. » Les sourcils se froncent car il ne comprend pas pourquoi elle lui parle d’un enfant mais rapidement il se souvient … son neveu. « Un enfant ? » Il secoue la tête. « Quoi ? Ah … non … pas du tout. Ce n’est pas mon fils. Mon neveu. » Il acquiesce en venant caresser avec tendresse la joue du bonhomme. « Ethan. » Il retrouve le regard de ce fantôme du passé. « Je suis juste l’oncle super cool. » Un sourire. Il balaie les alentours du regard à la recherche de la raison pour laquelle elle pourrait être ici et … il ne voit que ce chien.

« Mais toi, dis-moi », il aurait aimé se préparer … même si … comment peut-on se préparer, sa main passe dans sa nuque, « qu’est-ce que tu deviens ? à ce que je vois, tu t’es équipée d’un cheval en guise d’animal de compagnie … », un sourire complice, taquin alors que sa main retrouve sa cuisse qu’il masse inconsciemment, discrètement.

« Maman ! Maman ! Tu viens ? » Son sourire s’évanouit – et il ne le contrôle même pas. Son regard se dérobe pour venir se poser sur les deux garçons dont l’un d’entre eux qui vient de l’appeler … maman. Son cœur se serre. Les sourcils se froncent. Après tout, elle avait toutes les raisons du monde de refaire sa vie. Elle méritait d’être heureuse et épanouie. « Ne vous battez pas... Il y en a assez pour vous deux. J'arrive. » Le fait qu’elle réponde le lui confirme. Elle est mère. Il cligne des yeux et aussitôt son regard l’observe un peu plus en détails. Il s’imagine Rox les sourcils froncés en train de les gronder. Il s’imagine Rox le ventre rond, une main posée sur ce dernier, la grossesse. D’ailleurs inconsciemment son regard se pose sur sa main … l’alliance. Il déglutit. Elle est donc heureuse et épanouie … il devrait s’en réjouir, non ? Alor pourquoi est-ce qu’il ne parvient pas à prononcer le moindre mot ? il est figé comme un idiot, clignant des yeux à plusieurs reprises comme perdu. « C'est... une longue histoire ? » « Ça va te surprendre mais je me souviens de comment mon père m’a expliqué comment on fait les enfants … », dit-il d’une voix rieuse, essayant de mettre de côté cette envie de prendre ses jambes à son cou ; il serait bien trop lent de toute manière. « Je me suis mariée... » , silencieux, il acquiesce, « Et puis, ces deux-là sont arrivés. Enfin, en réalité, ce sont les neveux de mon mari. » Il lève un sourcil. « Leur mère est décédée dans un accident et leur père a déserté quand Henry est né. » « Oh je vois … désolé », souffle-t-il en reposant son attention sur les gamins un peu plus loin. « Ils sont comme les miens. » Il repose son regard sur elle, sachant que c’est le moment de dire quelque chose. « Félicitations ! » car elle restait néanmoins une mère et que des félicitations étaient plus positives qu’un désolé. « Ça te va bien --- je veux dire, la maternité, être mère, ça te va bien », un sourire timide alors qu’il la désigne d’un geste de la main. Dans d’autres termes, il la trouve toujours aussi belle … mais ce ne sont pas les propos que l’on doit utiliser encore moins dans une situation comme celle-ci.

« J’suppose que ça a changé votre vie du tout au tout », qu’il ajoute en essayant de sortir de sa torpeur. « Faut pas mal de courage pour prendre une telle décision --- », ce n’est pas lui et sa vie de dom juan qui auraient pu en prendre une décision comme celle-ci. « Toujours aussi parfaite à ce que je vois », ajoute-t-il en lui offrant un sourire complice.

« On est passé de deux à quatre en une journée. Henry n'avait que six mois. On ne s'était jamais occupé d'un bébé. Même si on rêvait d'avoir une famille à nous. Le destin en a voulu autrement. » « Pour moi, ça ressemble à une famille … », qu’il lui répond sans perdre son sourire. Et il le pense. Il le pense sincèrement. A la manière dont elle en parle, il en est presque envieux et jaloux. Il aurait aimé pouvoir se retrouver dans cette situation, avec elle. Se retrouver à faire des recherches sur les besoins d’un enfant. Se retrouver à marmonner des jurons devant une poussette --- comme il l’avait fait ce matin. Se chamailler pour savoir qui doit prendre le relai de la première nuit. Il avait eu la folie d’y penser, un jour. Il s’était imaginé vivre cette vie avec elle … et il avait été convaincu que ça aurait été magique … mais il avait choisi une autre voie, ils avaient choisi des chemins différents. Il devenait l’oncle sur le banc, elle devenait la mère de deux enfants. « Je ne pense pas avoir déjà été un jour parfaite. » La remarque le fait sourire. « Je me souviens de deux trois moments où tu l’as été … », dit-il en faisant mine de réfléchir à ces deux trois fois, la voix devenue un peu plus rieuse.
Il est surpris, Brax. Il est surpris car il y a ce naturel entre eux qui revient bien trop vite. C’est comme s’ils se retrouvaient après seulement quelques jours de séparation. Il ne se sent pas mal à l’aise. Il n’a pas le sentiment de devoir chercher ses mots très loin … ça lui revient d’un coup, cette spontanéité, cette alchimie. Et, il en aurait presque le tournis. « Et, c’est quoi ton nom alors ? Tu as pris son nom ? », qu’il demande vraiment curieux et intéressé. Il la quitte du regard pour reporter son attention sur son neveu qui se met à hurler … apparemment, il en a marre de se retrouver sur cette couverture … à jouer avec quelques jouets qui deviennent … emmerdants. L’instinct paternel ? zéro. « Oh désolé … », qu’il lance en se levant du banc pour finalement se rapprocher du neveu. Et c’est là que commence la scène qu’il redoute le plus … encore plus devant elle, mais il a appris avec les derniers mois à « prétendre ». Alors sa jambe droite se décale un peu et il finit par se pencher un peu plus en avant pour finalement tendre les bras et le prendre dans ses bras. Les mouvements ne sont pas encore fluides … il le sait, il déteste l’idée. Il se tourne vers elle, avec le bonhomme de dix-huit mois dans les bras et avant même qu’elle ne fasse la moindre remarque ou le moindre commentaire, il la devance … il devance toujours les personnes qui ont pu le connaître avant.
« Je me débrouille de mieux en mieux avec --- je sais que je me déplace comme un demi-robot mais je me débrouille de mieux en mieux. Ça va. » Il acquiesce avec un sourire. Il n’a pas l’arrogance de penser qu’elle ait lu la presse le concernant … il se doutait que l’enfant prodige du football australien local ayant perdu une jambe dans un accident de moto arrêtant brusquement sa carrière … ça avait dû être entendu quelque part.

« Ça ne l’est plus vraiment, maintenant. » Oh. Il est désolé, s’imaginant un divorce. Un divorce classique. Et apparemment, un divorce qu’elle n’aurait pas choisi puisqu’elle avait encore son alliance à son annulaire. « Ah, merde désolé », souffle-t-il, mettant les pieds dans le plat. Une fois de plus.
« Vraiment ? A quel moment ? » Elle semble surprise. Vraiment surprise de l’entendre l’avoir trouvée parfaite. Lui, il est surpris de sa réaction et tend le cou vers l’arrière avec une moue surprise, perplexe même. Il n’avait qu’à fermer les yeux pour se souvenir. Il y avait cette fois où elle était parvenue à le prendre dans ses bras, lui masser l’épaule tout en lui soufflant qu’il y parviendrait … réaliser ses rêves, peut-être pas aujourd’hui, peut-être pas lors de ce match mais il y arriverait. La conviction avec laquelle elle le lui avait dit, il y avait cru. Il y avait eu cette fois où elle était sur son vol et où il s’était permis de se glisser derrière elle, posant les mains contre sa silhouette tout en lui soufflant des mots doux. Elle avait ri, l’avait légèrement repoussé en le renvoyant à son siège. S’il avait été un peu déçu, il l’avait trouvé parfaite avec l’élégance avec laquelle elle avait géré la situation. Elle avait été parfaite quand il l’avait présenté à ses parents, quand elle avait écouté, intéressée les histoires de son père concernant ses enfants. Elle avait été parfaite tout au long de leur relation. A ses yeux. Elle était parfaite. Et, il avait passé sa vie à comparer les autres avec elle … toutes perdaient. Elle ne laissait aucune chance à la concurrence. « Tu poses sérieusement la question ou est-ce que tu essaies de te faire mousser ? » Un éclat de rire. « Je t’ai toujours trouvé parfaite », finit-il par conclure en levant les épaules avec nonchalance. Aussi simple que ça.
« Je porte les deux. Zareh-Cox. Mais j'utilise le plus souvent Zareh. » Il acquiesce. Il prend note.
Son neveu dans les bras, il met fin au doute et à la potentielle gêne qu’il pourrait créer. Il sait que désormais, c’est un peu plus compliqué pour les autres que pour lui. « J’ai appris pour l’accident… Je ne peux qu’imaginer ce que tu vis. Si on me coupait les ailes… » Il lui sourit. Ouais, on lui avait coupé les ailes … c’était une métaphore qu’il pouvait comprendre. On avait mis fin à sa carrière, à ses rêves de fin de carrière. Lui, l’athlète dont le corps était son outil de travail… il se retrouvait prisonnier de ce corps qu’il ne reconnaissait pas, qu’il apprenait chaque jour à adopter, à dompter, à comprendre. « ça ne change pas ce que tu es, même si tu as la démarche d’un robot » « Ah ! Tu trouves aussi ? », qu’il lance d’une voix rieuse. « Ça a tout changé --- je ne pense pas être le même, mais je ne pense pas avoir totalement perdu au change », il lui offre un sourire, « bon là, tu parles à la version de moi qui a enfin compris que c’était un fait, il y a quelques mois, c’était pas le même message. » Un éclat de rire.
« Et c’est quoi le nom de tes monstres ? Henry et ... », qu’il demande en posant son regard sur les enfants un peu plus loin.

« J'aime me faire mousser, tu le sais. Mais pour aujourd'hui, je pose sérieusement la question. » Il penche la tête sur le côté, perplexe. Mais, il décide de sortir le numéro du gars qui ne va pas s’épancher sur les souvenirs un peu trop émotifs, ceux qui vont le faire se sentir mal, lui donner le sentiment de ne pas s’être suffisamment battu pour elle, pour eux. Alors, il se redresse et affiche un sourire idiot, le genre de sourire qu’il utilise pour amuser la galerie, faire rire, « Il y a des oreilles bien trop chastes dans le coin pour te sortir les détails, Rox », un clin d’œil complice alors qu’il pointe du doigt la bouille de son neveu.

« Je suis heureuse de voir que tu vas bien... Enfin, mieux. » « Merci », souffle-t-il simplement en hochant la tête. Il allait mieux, oui. Les crises de colère se faisaient rares. La frustration était présente mais il parvenait à la dompter. La douleur avait diminué et il avait gagné en liberté dans ses mouvements. On lui avait même appris à courir avec une autre prothèse … la sensation lui avait donné des ailes et pas mal de larmes. Comme un gamin, il avait demandé à ce qu’on le filme faire ces premiers pas en courant pour sa famille, pour leur montrer qu’il viendrait à Brisbane en étant sur deux jambes, en étant maitre de ses mouvements, en étant capable de reprendre le contrôle de sa vie.

« Henry et William. » Le regard demeure sur les deux bonhommes qui semblent jouer ensemble. Un joli portrait de famille. « Et Pancho. » Son regard se pose sur le dogue allemand qui relève la tête, se sentant concerné soudainement par la conversation. Un sourire en coin, il acquiesce. « Ça te fait une chouette petite famille. » Elle lui plaît, cette petite famille. Ça respire la vie, l’harmonie. « Oh mais dis-moi, maintenant que je suis de nouveau ici, je pourrais peut-être te filer mon numéro --- on pourrait essayer de s’organiser quelque chose », son neveu calé sur le côté, il sort de sa poche son téléphone qu’il lui tend pour qu’elle s’en occupe et entre son numéro. « Tu pourras m’expliquer les aventures de Rox autour d’un verre, d’un repas, qu’importe --- c’est moi qui invite. » Il sourit et ajoute : « j’crois me souvenir que c’était mon tour. » Fou de se dire qu’il s’en souvient après toutes ces années mais oui, ça avait été son tour de payer et elle de choisir l’endroit. Ça avait été leur truc, ces rendez-vous … est-ce qu’il n’avait rien oublié ? absolument !