ft. @taron o'connor connor's pub (new farm)

– Oh, il se moque du monde.
Utilisant le rebord de la vitrine pour y poser son sac à main, Cassie s’était mise à fouiller au fin fond de celui-ci à la recherche de son double des clefs, pestant un peu plus de mettre la main sur à peu près tout sauf ce dont elle avait besoin. Paquet de mouchoirs vide ? Check. Rouge à lèvres Mac teinte 608 ? Ici, aussi. Prospectus pour l’ouverture du Scenic Rim 2024 ? Elle n’avait pas osé dire non lorsqu’on le lui avait tendu à la sortie du bus, quand bien même elle connaissait suffisamment le festival pour ne plus avoir besoin qu’on lui en vante les mérites. – Ah, te voilà. Ses doigts se refermant sur le porte-clefs confectionné par sa fille lors de la dernière fête des mères, la brune s’était empressée de glisser la clef dans la serrure, faisant tinter la clochette installée au-dessus de la porte d’entrée du pub.

À l'intérieur, pas un bruit, pas un signe de vie … ou presque. Sur le comptoir, un verre vide et une bouteille de Kilbeggan semblaient avoir été abandonnées à la faveur de l’aube, laissant peu de doute à Cassie quant à la raison pour laquelle Taron n’était pas encore en bas, à passer un coup de balai ou redescendre les chaises des tables sur lesquelles elles étaient remontées chaque soir après la fermeture. Passant par le minuscule bureau dans lequel s’entassaient leurs livres de comptabilité pour y déposer son sac à main et son trench-coat, la quarantenaire avait refait un bref passage par le bar pour disposer deux tasses vides sous le bec de la machine à espresso, et appuyer sur le bouton de lancement avant d’emprunter la porte de service qui menait à l’étage.

Était-elle étonnée de voir que Taron ne s’était même pas donné la peine d’atteindre son lit, pour mieux échouer sa carcasse alcoolisée sur son canapé ? Bien sûr que non. Était-ce la première fois que l’un et l’autre se retrouvaient dans cette configuration précise ? Encore non. – Taron ? Taron. Elle tentait par principe, mais tout en sachant bien que le bonhomme avait le sommeil plus lourd qu’un dragueur de rue à un arrêt de bus. Une incursion à la cuisine plus tard, elle était de retour avec un verre d’eau, et contemplant un bref instant le profil endormi de son ami elle avait déversé le contenu dudit verre sur son visage avec, il est vrai, un fugace sentiment de satisfaction. – Y’a pas à dire, elle a changé, la belle au bois dormant. Laissant Taron grommeler autant qu’il le souhaitait sans relever, elle avait simplement ajouté d’un ton égal – Y’a de l’aspirine à côté de l’évier de la cuisine, j’suis pas totalement un monstre. Et un café en bas, pour quand tu auras pris une douche. Tu sens le bouc. Tout cela n’était pas négociable, et au cas où l’irlandais se serait permis d’en douter, Cassie lui avait offert le regard sévère qu’elle réservait d’ordinaire à sa fille lorsqu’elle tentait de négocier une évidence.

Son méfait accompli, elle avait tourné les talons et redescendu l’escalier jusqu’au bar, laissant à Taron le temps de rassembler ses esprits et de s’arranger un peu. Elle n’était pas pressée, le livreur de journaux venait de déposer les exemplaires du Brisbane Times et du Courier Mail mis chaque jour à disposition des clients, et les mots-croisés de la double page centrale semblaient n’attendre qu’elle. Les chaises à remettre au sol ? Elle ne comptait pas s’en occuper tant que Taron ne serait pas là pour mettre la main à la pâte.

ft. @Cassie Yeun connor's pub (new farm)
La soirée est rude. Des émotions qui ne sont pas maîtrisées. De l’alcool un peu trop ingurgitée. Et on n’entend pas le réveil sonné. Non, rien mais vraiment en a-t-il mis un hier soir ? Plutôt ce matin ? L’heure tardive du coucher est devenue une heure bien matinale. Le jour sur le point de se lever. Il tombe littéralement dans son canapé, Wolf a suivi le mouvement sans réellement s’inquiéter. Le chien-loup a l’habitude des état d’ébriété avancé de son maître. Il se couche à ses côtés sans bouger. Ce qu’il ignore Taron, c’est comme est-ce qu’il a fini dans son lit. Peut-être une envie pressante et l’instinct qui lui fait regagner le bon endroit pour dormir. Personne ne saura, c’est une évidence, enfin si, le chien mais incapable de formuler la moindre pensée.

Non, voilà Taron ne s’est pas réveillé, pourtant, il a bel et bien un bar à faire tourner. Il faut préparer la salle avant l’ouverture en fin de matinée. Mais pour l’heure, c’est d’un sommeil profond qu’il s’évade. Tristement dans ses songes, il voit ce petit humain qu’il a perdu, il voit Bran, son fils qui n’est plus. Lyanna qui rit. Une vie qui aurait dû perdurer mais qui s’est arrêtée. Bran est décédé. Lyanna est partie, incapable d’avancer dans la ville qui a englouti son fils, sa famille. Il se retrouve seul. Il croit qu’il est seul. Taron n’est pas doué pour exprimer ses émotions, il ne sait pas parler de ce qui le perturbe et là, c’est une dépression sévère qui le ronge, une alcoolisme profond qui le noie. L’alcool pour dormir, pour arrêter de penser... est-ce que cela fonctionne ? Pour les pensées, non... impossible d’oublier ce que la vie lui a pris. Pour le sommeil, c’est plutôt efficace, il fronce. Parfois les rêves viennent, parfois pas. Et peut-être que l’absence de réveil au petit matin s’explique par le fait que son esprit avait besoin de repos et de voir des imagines apaisantes. Et qu’adviendra-t-il à son réveil ?

Les images sont agréables du moins jusqu’à ce qu’elles se noient dans un flot d’eau incompréhensible. Il est vrai que les rêves ne sont pas toujours logiques, l’inconscient nous fait passer des messages sans parler la même langue que nous. Pas toujours simple pour se comprendre. Un grognement résonne dans sa poitrine, l’eau, elle est réelle. C’est froid, peu plaisant et ce réveil en sursaut le met illico sur le mode mauvaise humeur. La voix de son binôme résonne, elle aussi. Cassie et sa délicatesse. Cela étant, elle n’est pas payée pour l’être. Il se redresse Taron, grommelle encore, essaie d'ouvrir ses paumes son visage trempé. « - Tu n’étais pas obligée de m’arroser » Sa voix est rauque et grave, cassée par la fatigue et l’alcool. Un merci ne serait pas de trop mais là, il n’estpas d’humour. Il viendra quand il aura retrouvé ses esprits. En attendant, il prend le verre d’aspirine alors qu’elle redescend en bas. Il hésite à y aller direct, seulement ne lui a-t-elle pas dit qu’il sentait le bouc ? Un passage par la salle de bains s’impose et il ne descend qu’une fois propre. C’est dur, l’aspirine ne fait pas encore effet, il lui manque beaucoup trop d’heure de sommeil. Elle s’affale presque sur le comptoir. « - On t’a déjà dit que tu étais un peu trop radicale comme personne ? » Il relève juste son visage en souriant, il tente de plaisanter, qu’est-ce que c’est nul. « - Tu as parlé de café aussi.. ? » Parce qu’il va lui en falloir pour arriver à gérer le reste de la journée.