- rebel with purpose -
@Ruben Roswell
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(outfit) Elle se souvient encore du jour où elle a pressé le bouton validant sa demande d’inscription Zahra. La fébrilité dans sa main, la lenteur dans les déplacements de sa souris, les retours en arrière incessants. Elle n’oubliera jamais le visage des gens qui l’entouraient ce jour-là dans la bibliothèque municipale. Des traits ineffaçables, qu’elle a bien trop longtemps observés. Pas par admiration, pas par curiosité, par jugement. Envers eux, envers elle. Qui d’autre qu’elle, bientôt quarantenaire et sans sous, est capable d’emprunter un ordinateur dans une bibliothèque. La jugent-ils également ? Que diraient-ils s’ils savaient qu’elle s’apprêtait à envoyer sa candidature à une université à trente-huit ans ? La honte. Elle n’a pas peur de se lancer à son âge ? J’aimerais bien la voir aux soirées étudiantes. Regarde sa dégaine. Non, jamais elle n’oubliera le regard de cette jeune fille. L’incompréhension dans son regard, la peur transformée en méchanceté dans le sien. Elle a aussitôt regretté, s’est presque détestée. Elle sait bien qu’elle n’a pas besoin de qui que ce soit pour la juger Zahra, car personne n’est plus cruel envers elle que son propre esprit. Zahra la martyr. Plus que de craindre ce nouveau défi qu’elle s’est lancé, elle a eu peur d’échouer. Et si après tout ce courage, toutes ces démarches elle était finalement refusée ? Il n’y aurait plus rien à faire, plus rien. Rien d’autre que de finir sa vie dans l’épicerie familiale, seule et frustrée.

Aujourd’hui encore, malgré les trois mois passés sur les bancs de l’université, l’iranienne ne se sent pas légitime. Ce soir, parmi tous les élèves qui partagent son cursus, elle se sent encore à part. Elle est cette femme de couleur, pas maquillée, le visage fatigué, aux vêtements basiques qui prend encore ses notes sur un vulgaire morceau de papier. Mais où trouvent-ils tous l’argent pour se payer ces ordinateurs ? Ces tenues branchées ? Ce soir, pourtant, elle tente de se donner davantage de courage que d’habitude. Car ce soir, elle a la chance de pouvoir rencontrer d’anciens élèves, aujourd’hui investis dans la politique et en mesure de lui donner une chance après l’obtention de son diplôme. Parmi les quelques personnes qui se sont portées volontaires pour raconter leur parcours à des étudiants rêveurs, c’est sur Ruben Roswell qu’elle porte une attention particulière. Jeune, charismatique, et surtout assistant parlementaire du parti des verts. Le rêve ultime de Zahra. Assise discrètement, elle écoute, griffonne, rapproche son discours à ce qu’elle connaît du parti, de l'élu qu’il assiste. Très rapidement, les questions s'enchaînent dans son esprit. Pourtant, lorsque le temps des échanges arrive, l’épicière reste muette. Les interrogations fusent, s’adressent à lui, aux autres personnes venues témoigner. Recroquevillée sur sa chaise, Zahra écoute, se nourrit de ce qu’elle entend, de leur façon de répondre et patiente calmement.

C’est seulement lorsque leur professeur annonce la fin de cette rencontre et que tout le monde commence à se lever, qu’elle considère l’idée d’aller à la rencontre du jeune assistant. Toute en discrétion, elle attrape son carnet, jette son stylo dans sac à main et se glisse entre les étudiants pour s’avancer vers lui. Ce n’est qu’une fois qu’il se retrouve isolé qu’elle se décide à s’approcher réellement. « C’était un joli speech, vraiment motivant » commence-t-elle d’une voix un peu timide. « Dommage que l’élu que vous assistez se soit fait attraper dans un avion ultra polluant en train d'aller passer un week-end à l’autre bout du monde  » Cette fois, les mots qui quittent sa bouche sont plus fermes, plus agressifs qu’elle ne l'aurait d’ailleurs voulu. « Comment on est censé faire confiance à un ancien élève venu nous vendre du rêve, défendre son métier et ses valeurs, alors qu'il travaille pour quelqu’un qui va à l’encontre de ses principes ? » finit-elle par demander, son regard accusateur posé sur le jeune homme qui lui fait face.