Only one step

Delilah & Noomi

L’équilibre est précaire. Encore plus que d’habitude. Noomi marche sur un fil de plus en plus fin, la chute en est presque inévitable. Revoir Irwan – bien que ce ne soit pas prévu – n’était pas une bonne idée. La soirée qu’ils ont passé ensemble a poussé la demoiselle dans ses retranchements. Un combat acharné contre ses démons s’en est suivi. Si Noomi s’efforce de se tenir éloignée de la drogue, c’est compliqué quand son ex est impliqué et que toutes sortes de substances tournent autour d’elle au cours d’une soirée. La tentation est forte, depuis. Elle grignote sa volonté à résister un peu plus chaque jour. Retomber dans cette spirale infernale serait hautement dramatique.

Allez, juste une fois. Une toute petite fois.

Ses défenses faiblissent, voilà pourquoi sa présence aux réunions du groupe de soutien se sont multipliées ces derniers temps. Noomi en a besoin. Plus qu’une nécessité, elles deviennent vitales pour l’empêcher de craquer. De commettre l’erreur fatale de replonger. Parce qu’elle le sait, si elle se laisse tenter, elle sombrera corps et âme. La demoiselle ne peut pas se permettre une telle rechute après toutes ces années de dur labeur – avec un petit échec à mi-parcours, certes. C’est donc d’un pas décidé qu’elle se rend en centre-ville, QG de ce petit comité où elle se sent libre de s’exposer sans se sentir jugée par qui que ce soit. Assise sur l’une des chaises disposées en cercle au milieu de la pièce, elle attend Chris avec les autres, celui qui s’occupe toujours de diriger les réunions.

A sa grande surprise – et désarroi – ce n’est pas lui qui s’approche et qui prend place sur la chaise qui lui est due. Non. C’est une silhouette bien connue qui s’installe et qui prend les choses en main. Noomi se retient de justesse d’entrouvrir la bouche sous la surprise – et le malaise – qui la submerge. Delilah Winchester. Son ex. Celle qu’elle a tant aimée. Celle avec qui elle se voyait déjà partager sa vie pendant des années. Celle avec qui tout était tellement facile qu’elle n’imaginait pas un monde sans elle à ses côtés. Celle qu’elle a brutalement abandonnée. C’est la honte et le regret qui s’immiscent en elle pendant toute la durée de la séance. Noomi ne prononce pas un seul mot, n’intervient à aucun moment. Elle se contente d’écouter, plus ou moins distraitement. Voir Delilah, entendre sa voix, rouvre des blessures longtemps enfouies. Comment oublier tous ses remords et cette culpabilité qui refait surface après tant d’années ? Impossible.

A la fin de la séance, tout le monde se lève pour se diriger vers le buffet mis à disposition pour l’occasion. Pas Noomi. Coincée dans son indécision, elle ne parvient pas à savoir ce qu’elle doit faire. Rentrer chez elle directement ? Se terrer au fond de son lit et ressasser le passé ? Se noyer dans sa culpabilité ? Ou prendre son courage à deux mains et aller adresser un mot ou deux à son ex ? Pour lui dire quoi ? Delilah a toutes les raisons d’être en colère contre elle. Ça ne serait que légitime qu’elle l’envoie chier. Même ici. Peut-être que Noomi le mériterait. Peut-être que Lilah n’est pas là par hasard, peut-être qu’une force supérieure l’a placée ici aujourd’hui pour une raison particulière. Ça ne peut pas être un hasard, pas en ce moment, alors que Noomi se trouve au bord du précipice. Ses jambes se mettent en marche, elle ne le réalise que trop tard. A peine s’en rend-t-elle compte qu’elle se trouve déjà à proximité de Delilah. « Salut. » S’entend-t-elle prononcer, sans même le contrôler. « Je ne m’attendais pas à tomber sur toi. » La ville est grande, mais pas à ce point, visiblement. « Enfin, ici, je veux dire. » Aux dernières nouvelles, Delilah n’a pas de problèmes d’addiction. D’autant que c’est bien la première fois qu’elle tombe sur elle, en trois ans qu’elle fréquente ce groupe de soutien.

Only one step

Delilah & Noomi

La séance ne s’est pas déroulée comme prévu. Si d’ordinaire, Noomi participe plus ou moins assidument à la conversation et aux échanges, aujourd’hui elle est restée muette comme une carpe. Impossible de prononcer le moindre mot. Ses lèvres demeurent résolument closes. Comment pourrait-elle agir normalement avec Delilah ? Comment pourrait-elle lui parler comme si elles ne se connaissaient pas ? Noomi n’en est pas capable. Bon nombre de défauts ont beau composer sa personnalité, l’hypocrisie n’en fait pas partie. La demoiselle Kennedy est une femme franche qui ne sait pas faire semblant, pas quand un passif aussi fort et particulier la relie à quelqu’un. Elle a parfaitement conscience qu’elle a blessé Delilah – qu’elle lui a même sans doute brisé le cœur – alors ce serait un non-respect de sa part de prendre la parole et d’échanger comme si elles ne se connaissaient pas.

Non, Noomi préfère attendre la fin de la séance – après avoir longuement hésité et réfléchi à ses mots – pour potentiellement entamer une discussion. Si toutefois son ex en a envie. Elle n‘est pas très fière, la professeure de yoga, quand elle s’approche de Delilah. Son estomac se tord déjà. La culpabilité s’immisce sous chaque parcelle de sa peau et court dans chacune de ses veines. Jusqu’à afficher un air désolé sur les traits de son visage. Léger contraste avec le sourire poli de la psychiatre. « J’ai entendu, ouais. » Elle a bien compris qu’elle remplaçait Chris, effectivement. Peut-être est-ce une manière de gagner du temps. De noyer un peu le poisson avant que chacune ne retourne vaquer à ses occupations. Pourtant, il suffit d’un instant pour que tout bascule. Dès lors que leurs prunelles s’accrochent, Noomi sent son cœur s’accélérer violemment. Elles ne se sont pas quittées en très bon terme. Comme chacune de ses histoires d’amour, celle-ci non plus n’a pas été achevée correctement. Malgré tout, elle s’approche et glisse négligemment ses doigts sur la table à ses côtés. « Pas pour l’instant, merci. » On ne peut pas dire qu’elle meurt de soif dans l’immédiat. Cependant, peut-être devrait-elle prendre quelque chose, pour au moins occuper ses mains. La question de Delilah la laisse, quelques secondes, silencieuse. Doit-elle mentir et assurer qu’elle n’avait rien à dire ? De son point de vue, ça ne serait pas correct, une fois de plus. « Je voulais pas prendre le risque de potentiellement te déconcentrer. Tu m’as ignorée tout du long, à juste titre, alors j’ai préféré rester en retrait. » Autant jouer la carte de l’honnêteté. Sur ce point, du moins. « J’avais pas grand-chose à dire, de toute façon. » Un haussement d’épaules ponctue ses propos. Mensonge, cette fois-ci. Pour atténuer la vérité qui est un peu plus difficile à porter. Revoir Irwan, passer une soirée avec lui, à proximité de l’objet de son addiction s’est révélé bien plus perturbant que prévu. Depuis, la tentation se fait un peu plus forte chaque jour. Son équilibre demeure précaire et cette simple soirée ne cesse de venir la hanter. « Comment tu vas ? » La question est déplacée mais elle n’a pas pu s’empêcher de la prononcer. Avec un peu de chance, Delilah aura enterré la hache de guerre. Peut-être que Noomi s’inquiète pour rien. Pourquoi se préoccupe-t-elle de ce que pense ou ressent son ex d’ailleurs ? Peut-être parce que son envie de lui présenter des excuses lui brûle les lèvres, mais qu’elles ne se trouvent pas au bon endroit pour ça.