@Elio Montgomery & @Valentina Lorenzi

 

Elle a dû se faire violence, au cours des trois derniers mois, pour ne pas s’en prendre physiquement à Isana. Ce n’est pas l’envie qui lui manquait, pourtant. Valentina s’est même surprise plusieurs fois à imaginer la scène. Elle, remontant l’allée du Manoir Montgomery à bord de son SUV, se présentant à son ancien personnel, puis attendant la veuve de Walter dans l’immense hall d’entrée. Elle aurait volontairement tourné le dos aux escaliers desquels serait arrivée Isana et, dès celle-ci à sa hauteur, l’italienne se serait retournée à la volée pour lui flanquer son poing dans le visage. Ça aurait peut-être été destructeur, mais Valentina sait ô combien un tel geste aurait également été libérateur.

C’est simple : depuis qu’Isana est venue la trouver à la fin du mois de juillet pour l’informer que Walter lui léguait ses parts d’Hestia Architecture, Valentina en fait des cauchemars. Littéralement. Elle fait de manière récurrente le même rêve qui finit par la faire se réveiller en sueur. Les images sont floues et les couloirs de son cabinet d'architecture ne sont pas conformes à la réalité, pourtant, Valentina sait qu'elle se trouve là-bas. Elle poursuit son chemin, entend des bruits indistincts et finit par entrer dans une salle de réunion. Une dizaine de paires d’yeux se braquent sur elle mais c’est le regard bleu d’Isana qui la saisit. Elle se tient debout, préside l’assemblée et dirige les salariés de Valentina. Il ne faut alors que quelques secondes à la nouvelle PDG d’Hestia Architecture pour jeter le discrédit sur celle qui a bâti cette société, la tourner en dérision devant ses salariés, et la faire raccompagner à l’extérieur. Les mots d’Isana résonnent une dernière fois avant qu’elle n’arrive à s’extirper de ses songes - « cette entreprise m'appartient, ma chérie » - et il faut de très longues minutes à Valentina pour se remettre de ce qu'elle a virtuellement vécu. Souvent, d'ailleurs, sa nuit s'achève à ce moment-là.

Ce n'est pas une façon de vivre. Valentina a cette impression d'attendre la sentence qui sera la sienne. Son jugement dernier. Elle a mis ses avocats sur la question dès le début du mois d'août, pourtant. Mais ceux-ci n'ont encore décelé aucune faille dans les statuts de l'entreprise. Ils ne lui ont toujours proposé aucune solution pour qu'elle devienne l'unique associée - ou à tout le moins l'associée majoritaire - d'Hestia Architecture, sinon celle de racheter les parts léguées par Walter à Isana. Si cette idée est la première que l'italienne a eu, force est de constater que son ancienne amie n'a pas souhaité envisager cette éventualité. Elle s'est fermée à cette option sans que le dialogue ne puisse être lancé, sans qu'aucune contrepartie financière ne soit proposée. Aussi, plus Valentina réfléchit à ce problème, plus elle se convainc que ses avocats ont raison et qu'elle n'a d'autre solution que de convaincre Isana de la laisser racheter ses parts. Qu'importe si elle doit les payer dix fois plus que leur valeur réelle ; la liberté, elle, n'a pas de prix. Valentina mènera ce combat, quoi que ça lui coûte.

Pour cela, cependant, mieux vaut-il être bien armée et avoir des alliés solides. En toucher un mot à Elio lui semble être une bonne idée, bien qu'elle soit consciente que les relations que ce dernier entretient avec Isana ne lui permettront pas de lui faire entendre raison. Elle espère sans doute, au fond d'elle, qu'au moins un autre membre de la famille Montgomery pourra s'entretenir avec la blonde à ce sujet et lui faire accepter une offre généreuse.

Les pensées de l'italienne sont ainsi accaparées quand elle rejoint la bâtisse à l'architecture victorienne où elle a donné rendez-vous à Elio. Légèrement en avance sur l'heure annoncée, Valentina réceptionne leur table à la Customs House et se perd dans la contemplation du Story Bridge qui lui fait face. Quand finalement Elio se présente à elle, c'est d'un sourire généreux qu'elle l'accueille.

- Salut Elio ! Ça me fait plaisir de te voir, dit-elle en lui offrant une accolade amicale, juste avant de reprendre place sur son fauteuil. Ça y est, tout est prêt pour ton déplacement ? lui demande-t-elle en faisant évidemment référence aux quelques jours qu'il a prévu de passer à l'étranger dans la semaine à venir et qu'elle assimile, à tort, comme ayant un lien avec le monde professionnel.

@Elio Montgomery & @Valentina Lorenzi

 

Valentina est et restera éternellement une Montgomery aux yeux d’Elio. Même si elle était sa tante, fut un temps, il la considère plutôt comme une sorte de cousine, étant donné leur faible différence d’âge. Contrairement à Isana qui demeurera toujours un parasite dont ils ne parviendront sans doute jamais à se débarrasser. La blonde a beau se donner des grands airs, elle n’est rien. Rien de plus qu’une pique-assiette. Une vulgaire sangsue, une épouse de. Elle n’a rien fait de sa vie hormis mettre le grappin sur un homme riche et puissant. Elle n’est qu’une vipère manipulatrice qui n’a pas sa place dans leur monde. Elle n’est qu’une moins que rien. Difficile de ne pas penser à cette sorcière alors même qu’il a rendez-vous avec Valentina pour déjeuner.

Cependant, Elio a bien autre chose en tête dernièrement. Sa chère et tendre s’est envolée pour New York et tout est déjà organisé pour la rejoindre en fin de semaine. Avery n’est pas au courant et le psychologue espère bien que la surprise lui plaira – il n’en doute pas vraiment. Quelle ne fut pas sa surprise, d’ailleurs, de constater que Valentina et lui connaissent tous les deux Ava. Une perspective qu’il n’avait pas envisagée et qu’il n’apprécie que moyennement ; son amie détenant une information susceptible de ruiner sa belle idylle. Du moment que Valentina tient sa langue, tout ira bien. Ce qu’Avery ignore ne peut pas lui faire de tort.

Quoi qu’il en soit, c’est parfaitement apprêté, le costume porté en toute circonstance qu’Elio arrive quelque peu en avance sur l’heure prévue à la Customs House. L’endroit est huppé et l’un des préférés du psychologue dans cette ville. La vue est imprenable. Il est connu dans l’établissement et une hôtesse ne tarde pas à le saluer lorsqu’il apparait dans son champ de vision. Son amie en vue, il la rejoint de sa démarche gracieuse et élancée. « Bonjour, Valentina. » Une brève accolade est échangée et un léger sourire vient fleurir sur ses lèvres, avant qu’il ne prenne place sur un fauteuil à son tour. « Moi aussi, ça me fait plaisir. » Mais voilà qu’elle aborde déjà son déplacement à venir. Elio ne lui a donné que très peu de détails, hormis qu’il quittait le pays pour quelques jours en fin de semaine. Le psychologue n’est pas quelqu’un de très loquace ni réputé pour raconter sa vie facilement. « Oui. » Se contente-t-il de lâcher, sans développer davantage. « Comment vas-tu ? » Depuis la dernière fois, entre autre. Cependant, il n’est pas question de s’éterniser sur des banalités. « J’ai entendu des rumeurs, à propos de la pique-assiette en chef. » Pour ne pas la nommer. « Certains prétendent qu’elle dilapide l’argent de son défunt mari. Qu’elle le jette par les fenêtres. » Dans ce milieu, les commérages vont bon train et les ragots font légion, qu’ils soient fondés ou totalement faussés. « J’ai même entendu dire qu’elle avait organisé son accident, uniquement pour toucher l’héritage. » Au fond, ça ne l’étonnerait pas. Même s’il doute fortement qu’elle soit assez intelligente pour ça. Après tout, elle n’a pas inventé l’eau chaude.

@Elio Montgomery & @Valentina Lorenzi

 

Elio n’est pas connu pour être l’homme le plus loquace qui soit. Pourtant, Valentina est déjà parvenue à obtenir beaucoup plus de lui que le simple « oui » qu’il lui sert quand elle aborde son déplacement à venir. Elle qui pensait en apprendre un peu plus au cours de cette rencontre et qui s’apprêtait déjà à voyager à la simple annonce de la destination qui attend le psychologue, s’en trouve fort déçue. Mais Valentina ne dit rien, elle acquiesce silencieusement de la tête en reprenant place sur son fauteuil.

Comment va-t-elle ? Les codes et usages qui lui ont été donné d’acquérir lorsqu’elle était une Montgomery et qu’elle baignait dans ce monde d’opulence et de richesse lui permettraient de répondre à cette question d’un mensonge éhonté, tout en s’en sortant avec brio. Elle pourrait feindre que tout va bien, qu'elle est plus épanouie que jamais et qu'aucun nuage ne vient noircir son quotidien. La vérité est bien différente depuis qu'elle a appris que l'une de dernières volontés de son défaut ex-époux était de léguer les parts qu'il détenait d'Hestia Architecture à sa veuve. Valentina pense à ça la plupart du temps et se triture les méninges afin de trouver comment faire. Comment faire pour qu'Isana n'ait pas la moindre part dans sa société, comment faire pour l'éradiquer de sa vie, pour se débarrasser d'elle une bonne fois pour toutes.

Elio semble connaître la réponse à sa question et la cause de ses tourments actuels, puisqu'il enchaîne déjà sur le sujet fâcheux en question. Il n'est aucunement question qu'il l'appelle par son prénom, ni qu'il fasse preuve de la moindre considération à son égard. La veuve de Walter n'est autre que la pique-assiette en chef. Le plus désolant, dans tout cela, reste le fait que Valentina - et sans doute beaucoup d'autres personnes - comprenne instantanément à qui il fait allusion.

Le psychologue lui conte déjà les rumeurs qui circulent dans la sphère de la haute bourgeoisie à laquelle les Montgomery appartiennent. Ce même monde que Valentina a quitté lorsqu'elle a divorcé de Walter mais dont elle connaît encore très bien les rouages. Imaginer qu'Isana dilapide la fortune que son défunt mari n'a rien d'étonnant. Cette femme a toujours cherché à obtenir le pouvoir, à exister. Elle n'a jamais aussi bien brillé qu'aux côtés de Walter avec ses parures de diamants autour du cou, aux oreilles et à ses poignets. La disparition de son époux ne la fera certainement pas renoncer à ce luxe et à cette influence qu'elle a acquise grâce et à travers Walter.

- Ça ne m'étonne pas, elle a toujours aimé l'argent, alors maintenant qu'elle a un accès illimité à la fortune de Walter... réagit l'italienne à haute voix.

Et tant pis si elle contribue à colporter ces ragots. Valentina se fiche bien du tort qu'elle peut causer à celle qui l'a trahie de la pire des façons. Il y a bien longtemps qu'elle a rayé à l'encre indélébile le nom d'Isana de sa vie. Seulement, il reste des limites qu'elle ne veut pas franchir. Pas parce qu'elles jetteraient le discrédit sur la blonde, mais bien parce que ça remettrait en cause sa propre intégrité et les valeurs que ses parents lui ont données.

- Plus le ragot est gros, plus il circule. C'est dommage, tout ceci accord bien trop de crédit à Isana et fait parler d'elle. C'est ce qu'elle veut, peu importe que ce soit en bien ou en mal, tant qu'elle existe à travers les autres.

À ce même moment, un mimosa est apporté aux clients par un serveur tiré à quatre épingles, dont les règles de l'hôtellerie sont si bien ancrées en lui qu'elles coulent probablement désormais entre ses veines. Il indique que le reste du brunch ne va pas tarder à leur être servi et leur souhaite d'apprécier leur moment. Quand il s'éloigne, Valentina attrape son verre pour le lever en direction de son ami, juste avant de le porter à ses lèvres.

- Est-ce que tu sais si l'enquête a avancée ? s'enquit-elle à propos de l'accident d'hélicoptère. Si seulement elle pouvait avoir quelque chose à y voir, elle me foutrait enfin la paix.

Elle songe à haute voix, Valentina, et ne voit pas à quel point ses propos sont graves. Il y a quand même deux poids, deux mesures, entre le fait de mourir d'un accident d'hélicoptère à cause d'une défaillance de l'appareil ou de mourir parce que quelqu'un l'a souhaité est prémédité.