Elle avait cru que le pire était passé, une fois ce vingt-huit janvier derrière elle. Et c’est pas totalement inexact, elle est soulagée Sorcha que ce soit fini. Mais elle a été bien naïve en pensant que ce serait un cap et que la tranquillité d’esprit viendrait ensuite. Les drames semblent la suivre, quoiqu’elle fasse. D’abord, ça a été Nina, qui lui a annoncé sa grossesse par sms. Oh, la brune sait pourquoi elle l’a fait, par égard pour elle. Elle l’a compris tout de suite, à sa manière de formuler les choses. C’est évident que Noah a dû lui parler de la fausse couche il y a belle lurette, c'est sa soeur après tout, sa jumelle même. Ça a été un choc de la savoir enceinte, mais ça aurait sans doute pas dû. Nina est mariée depuis un moment et vient de fêter ses trente-neuf ans. C’est évident que ça allait tomber, un jour ou l’autre. Elle devrait plutôt être soulagée Sorcha d’avoir été prévenue en amont, de pouvoir se préparer. C’est nécessaire même; il lui arrive encore d’être prise d’une brusque envie de pleurer lorsqu’elle croise dans la rue des femmes au ventre arrondi, ou accompagnées d’un jeune enfant. Cette plaie là, faute d’avoir été adressée, n’a toujours pas guéri et l’écossaise fait de son mieux pour se confronter de force à cet état de fait. Nina est enceinte, Nina va avoir un bébé. Et puis c’est une bonne nouvelle aussi pour elle, parce qu’elle a quelques années de moins, parce que ça veut dire qu’elle a encore du temps sans doute. Elle se le rabâche encore et encore, pour que ça rentre, jusqu’à ce qu’elle puisse vraiment se réjouir. C’est ce qu’elle trouve le plus horrible dans tout ça, pas arriver à être heureuse pour les autres. Parfois elle a l’impression de se transformer peu à peu en vieille fille aigrie, dévorée par l’amertume. Tout ce qu’elle refuse de devenir.

Puis il y a eu Nelly, qui d’un coup a annoncé ne plus vouloir lui parler. Ça non plus, ça n’aurait pas dû la surprendre. Avec la blonde, tout a toujours été compliqué. Mais ça l’a prise de court quand même, et surtout ça lui a fait beaucoup plus de peine qu’elle aurait pu l’imaginer. Elle essaie de se convaincre que c’était couru d’avance, que tout ça poserait forcément problème entre le frère et la soeur. Que c’est sans doute mieux comme ça.

Mais l’humeur un peu morose, elle a été vite chassée la veille, sous la forme de deux énormes boules de poils qui ont soudainement débarqué dans son appartement. Si Sorcha avait pu oublier ce pouvoir qu’ont les animaux de faire oublier les soucis, Leeloo et Maya ont très vite fait de le lui rappeler. Les heures se sont écoulées à une vitesse folle et c’est à peine si la brune a eu le temps de souffler, préparer tout ce qu’elle souhaitait emporter à la plage (parasol, glacière comportant de quoi manger et de l’eau à profusion, crème solaire, serviette, chapeau à larges rebords…), puis sortir les chiennes et déjeuner en vitesse avant de parquer tout ce beau monde dans la voiture, direction le glacier devant lequel elle doit passer prendre Nina. Se sachant toujours en retard, l’écossaise a fait de gros efforts pour cette fois arriver en avance et ne surtout pas laisser une femme enceinte attendre sous le soleil de milieu de journée.

C’est vrai, elle a un petit moment de tension en se rappelant de ce qu’elle va voir. Ça lui prend quelques secondes pour arriver à passer outre, et être juste heureuse de revoir la jeune femme. Pas de temps de réfléchir de toute façon, il est déjà temps de repartir. Etant bien connue pour être une médiocre conductrice, Sorcha parle moins qu’elle le voudrait, désireuse de se concentrer au maximum sur la route pour protéger la précieuse cargaison, humaine et animale. Le trajet se déroule de manière particulièrement fluide, chose surprenante pour un samedi en cette saison. Mais plus surprenant encore, c’est sa facilité à trouver une place de parking bien située et c’est avec soulagement qu’elle coupe le contact. « On y est ! Bon je te préviens j’ai prévu pas mal de trucs, au cas où on a faim ou soif. » Enfin, c’est surtout à la blonde qu’elle pense. Elle s’en rend bien compte, qu’elle surcompense. Un mécanisme habituel que les séances de thérapie lui ont au moins permis d’identifier. « Tu veux bien laisser les chiennes sortir ? Je vais m’occuper de ce qu’il y a dans le coffre. » Parce qu’évidemment, pas question de la laisser porter quoique ce soit.

Elle était contente Nina de pouvoir passer un peu de temps avec Sorcha. La jeune femme et elle étaient devenues amies de par la relation qu'elle avait eu avec Noah et quand ceux-ci s'étaient séparés, elle avait essayé d'être un peu présente pour elle malgré tout. Elle ne pouvait pas imaginer à quel point ça avait du être difficile pour elle d'être laissée seule devant l'autel mais d'avoir perdu l'enfant qu'elle portait, ça elle le pouvait. Elle-même était enceinte présentement et sa plus grande angoisse était qu'il arrive quelque chose à son bébé. Parlant de grossesse, elle s'était sentie un peu coupable de son état sachant ce que la brune avait vécu. Mais elle lui devait la vérité et puisqu'elles avaient prévu de se voir, c'était la moindre des choses de la mettre au courant de sa grossesse. Nina ne voulait pas lui faire plus de mal qu'elle n'en avait déjà eu et elle la respectait bien trop que pour passer ça sous silence. Elle s'était mise un peu à sa place, sachant que si les rôles étaient inversés, elle aurait sans doute énormément de mal à rester autour d'elle. Mais Sorcha était fidèle à elle-même et avait quand même accepté de passer un peu de temps avec elle.

La matinée s'était passée comme à son habitude. La blondinette avait pris son petit déjeuner seule et quand Owen était descendu pour partir travailler, il avait pris soin de lui faire comprendre que sa tenue n'était pas appropriée, selon lui, pour la journée qu'elle allait passer. S'il était parti et que Nina aurait pu rester dans ses vêtements, elle s'était quand même sentie obligée de se changer et passer un pantalon plutôt que la robe qu'elle avait choisi.

Etait arrivée l'heure de se mettre en route jusqu'au glacier où Nina avait donné rendez-vous à Sorcha. Ne sachant pas si Owen serait là ou non, elle avait préféré éviter qu'ils se croisent par peur qu'elle remarque que ça n'était pas une ambiance paisible dans leur foyer. Elle faisait beaucoup ça dernièrement, même avec sa famille. Même si généralement, il se donnait une bonne image quand il devait les croiser, Nina avait toujours la crainte qu'il ne dérape et que ça se passe mal.

Il faisait déjà bien plus que chaud et elle regrettait de porter ce pantalon. Un petit soupire précéda le sourire qu'elle plaça sur son visage quand elle vit la brunette. Elle était sincèrement contente de la voir et de pouvoir passer un peu de temps en sa compagnie. Nina monta dans la voiture et le voyage se fit sans encombre ! "Tu es adorable mais ce n'était pas nécessaire de prévoir autant tu sais ! Et surtout, j'insiste mais tu me laisseras au minimum te payer une glace !" Dit-elle alors en souriant et en sortant de la voiture. Elle hocha la tête quand elle lui demanda de s'occuper des chiennes. Ces deux boules de poils étaient heureuses de pouvoir dégourdir un peu leurs pattes. "Sorcha, tu vas pas tout porter toute seule... Laisses-moi t'aider d'accord ?"

Avec le temps, Nina est devenue bien plus qu’une belle-soeur, une amie. Et quand tout s’est écroulé avec Noah, Sorcha a bien cru la perdre, elle aussi. C’aurait fait sens après tout: la famille d’abord, non ? Les liens du sang avant tout. Enfin, c’est ce qu’elle imagine, elle sait qu’elle a tendance à beaucoup romantiser la chose, à idéaliser une famille comme les Scott, représentation de tout ce qu’elle a toujours voulu. Pourtant avec le temps, elle a bien compris que les choses sont loin d’être idéales, que tout ça n’empêche pas les situations douloureuses. Mais ça veut pas dire qu’elle voulait les perdre. Nina est restée pourtant. Ca a pas été facile, Sorcha a dû prendre ses distances un moment, mais elle est bel et bien là, dans sa voiture, prête à passer un moment avec elle. Ca lui manquait, un peu de légèreté et puis aussi prendre des nouvelles de l’institutrice. Elle en a assez la brune, que tout ne cesse de tourner autour d’elle et de ses problèmes. Elle a l’impression d’avoir la tête dans le sable depuis trop longtemps, de se retrouver dans l’ignorance de ce qu’il peut se passer autour d’elle.

L’arrivée se fait sans encombre heureusement, et l’infirmière fait de son mieux pour que tout soit le plus facile et agréable possible pour la jeune maman en devenir. Et elle essaie, elle essaie fort de passer outre, de ne pas penser à ce bébé qu’elle a perdu, à son désir de maternité, toujours si présent malgré tout ce qu’il s’est passé. Non, elle veut pas que ça vienne la hanter aujourd’hui. Ce qu’elle veut, c’est profiter de Nina, passer du temps avec elle, l’écouter lui raconter sa vie, ce qu’il lui arrive. Rien de plus, rien de sombre ou de sinistre. Juste elles, les chiennes, cette belle journée qui les attend sur la plage.

« Oh mais si, et puis c’est pour moi aussi, j’aime mon confort. » Surtout quand il fait si chaud, en témoignent le chapeau qu’elle met sur sa tête et les vêtements légers qui couvrent une majeur partie de sa peau diaphane d’écossaise. A la demande de la blonde, la réponse ne se fait pas attendre. « Hors de question que tu portes quoique ce soit, en plus je préfère que tu t’occupes des chiennes pour éviter qu’elles soient trop dans mes jambes. » Elles ont été très bien élevées, mais fort est de constater qu’elle ont toujours été plus obéissantes avec Noah, et l’infirmière voudrait bien éviter de tomber en portant tout ce bazar. Et puis… même si leurs deux situations ont rien à voir, même si Nina en est à un stade avancé de sa grossesse, Sorcha veut éviter de lui faire prendre le moindre risque. Elle sait que là-dessus elle est parano, mais elle y peut rien, ça lui fait peur de penser qu’il pourrait arriver quelque chose.

Elle mène la marche vers un coin pas trop loin de l’eau, mais qui leur laisse assez d’espace pour bien s’installer sans être trop proches des gens autour. « Ici ça te va ? » La brune attend confirmation avant de planter le parasol et d’étaler les serviettes, poser la glacière afin que les deux femmes puissent être confortablement installées. « Prends ce que tu veux, j’ai pris de l’eau et des sodas. » L’opération lui prend une bonne dizaine de minutes avant de pouvoir enfin se détendre auprès des chiennes et profiter de la mer qui s’écrase sur le sable. Elle se tourne vers Nina, le sourire aux lèvres. « Comment tu vas ? J’ai l’impression qu’on s’est pas vues depuis une éternité ! » Et c’est pas rien de le dire, avec tout ce qu’il s’est passé.