@Sorcha Adair & @Esma Källström
Son corps porte encore les stigmates de l’agression. Elle craint de fermer les paupières et de revoir les images. Elle craint tout ces derniers jours Esma. Si on lui a dit de ne pas culpabiliser, la voilà qui n’arrive pas à faire autrement. Elle se sent fautive de ne pas avoir su arrêter la démence d’un homme. Comment aurais-telle pu ? Elle n’est pas psychologue, elle n’est pas médecin. Vétérinaire. Une autre branche d’une autre médecine, elle étudie le comportement des animaux, et pourtant, l’être humain n’est-il pas un animal ? Le pire de tous ? Elle culpabilise de ne pas avoir vu qu’elle était la proie d’une telle folie, d’avoir voulu voir le verre à moitié plein, d’avoir minimiser le danger de cet homme et de s’être persuadée que tout irait bien. Rien ne va. Le monde dans lequel elle évolue ne tourne pas rond, elle a le tournis à chaque pas qu’elle effectue et elle ne sait pas dans quelle direction avancer. Elle se sent définitivement perdue, personne dans un brouillard sans fin.  Et lorsque les choses tendent à l’amélioration, une nouvelle catastrophe arrive. Elle en vient à se demander si le destin ne se joue pas d’elle, s’il n’a pas quelque chose à lui faire payer, qu’est-ce donc autre qu’une vengeance qui s’abat sur le couple Källström.  

Pour l’heure, elle n’a pas su reprendre le travail, elle n’a pas su retourner sur les lieux… là où elle avait l’habitude de rencontrer cet homme, ce collègue en apparence. Elle craint qu’il soit toujours là, qu’il se pointe comme si de rien n’était. Elle le craint encore car il a pu s’enfuir sous le couvert de la nuit. Esma n’arrive pas à être seule trop longtemps, pourtant, Alarik a pris du temps pour rester avec elle et elle ne peut qu’aimer cette patience qu’il a avec elle. Est-il conscient de la peur qu’elle a eue, à nouveau de le perdre ? Peut-être. Elle cherche à ne pas remuer le couteau dans la plaie, elle voit les phalanges de son époux avoir pris une teinte anormale, elle voit que lui aussi porte les stigmates d’une querelle plus que violente.

Ce midi, elle le retrouve pour un déjeuner, rien de très romantique, Alarik a repris le travail et elle vient l’accompagner à la cafétéria. Disons que cela lui fait prendre l’air et qu’elle n’a pas l’impression d’être trop toute seule. Son époux ne va pas tarder de l’attendre devant le réfectoire, elle se doit d’être ponctuelle, le médecin n’a pas beaucoup de temps, le service des urgences demandent souvent beaucoup de temps et il n’est pas rare qu’ils soient interrompus au milieu d’un repas. Esma veut tenter de profiter au maximum avant de le retrouver dans la soirée. Après cela, elle ira sans doute faire quelques courses et peut-être un peu d’exercice dans une salle de sport, elle garde aussi en tête ce que son amie Sinead lui a soufflé, les cours de self defense. Peut-être qu’elle se sentirait plus forte en sachant qu’elle peut maitriser un adversaire potentiel. Elle entre dans le bâtiment et elle voit que l’ascenseur est là, c’est toujours une plaie pour arriver à l’avoir rapidement, alors sans réfléchir, elle se précipite dedans et se faufile entre les portes qui se referment. « - Ouf, juste à temps » elle souffle. Et c’est là qu’elle relève les yeux vers la personne qui partage l’endroit restreint avec elle. Elle se retient de rouler des yeux. Une amie de Rik. Une amie avec qui, il s’est grandement rapproché alors qu’elle était considérée comme… morte. C’est plus fort qu’elle, Esma n’arrive pas à faire amie amie avec cette fille, une forme de jalousie s’est emparée d’elle et elle ne la surmonte pour l’heure pas. Elle déglutit. « - Sorcha… » Dit-elle pour rester polie, c’est tout ce que l’infirmière aura comme salutation. Esma se tourne vers les portes qui ne devraient plus tarder de s’ouvrir… mais rapidement… très légère secousse et l’ascenseur n’est plus en mouvement. Elle attend un peu Esma, elle fixe le numéro de l’étage qui semble avoir bugué lui aussi. Rien. Une minute… deux. Elle finit par se tourner vers ce qu’elle considère comme une rivale. « - C’est quoi son problème à cet ascenseur, il est bloqué ? » On n’est pas loin de la panique, mais avant cela, elle veut être sûre… quand même.

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Ça court, ça court à l’hôpital. Pas une minute de répit à l’approche des fêtes. On pourrait croire que les gens font plus attention, par désir de pouvoir arriver en forme à la table du réveillon, mais non. Intérieurement, elle en est soulagée Sorcha. Alors évidemment que non, elle se réjouit pas du malheur d’autrui, plutôt d’être suffisamment occupée pour éviter de trop penser aux fêtes. D’ailleurs, c’est sans la moindre hésitation qu’elle s’est portée volontaire pour travailler le jour de Noël, et même la veille. Elle fêtera rien mais au moins elle sera pas seule devant la télé, dans son petit appartement déprimant, avec un plat à emporter. Tout le contraire de l’année passée. Parce que pendant trois ans, sa famille pour elle qui en a plus, c’était celle de Noah. Bêtement, elle était persuadée alors que ce serait toujours comme ça. Définitif. Elle s’était rudement trompée. Elle avait fait des progrès pourtant, elle le sentait bien, mais là rien que voir les décorations partout la ramène quelques mois auparavant, quand tout lui rappelait Noah et lui donnait envie de s’effondrer. Elle aurait dû anticiper, sans doute, mais c’est arrivé plus vite qu’elle l’aurait cru, trop vite pour qu’elle puisse prendre des dispositions comme économiser pour rentrer en Ecosse un peu. Elle a même essayé d’appeler sa soeur, qui reste aux abonnées absentes, ce qui fait que la plonger de nouveau dans l’inquiétude. C’est toujours comme ça avec Ailis: tout semble aller mieux, puis elle disparait à nouveau pour faire on ne sait quoi.

Les journées surchargées la vident de son énergie, mais au moins elle a plus de quoi cogiter et c’est tout ce qu’elle veut. C’est à peine si elle arrive à se dégager quelques minutes pour prendre l’ascenseur et espérer grignoter quelque chose à la cafétéria. Bosser sur son alimentation, voilà une bonne résolution qu’elle pourrait prendre pour la nouvelle année, parce qu’elle se rend bien compte qu’elle fait un peu n’importe quoi, entre les cochonneries avalées, les plats à emporter et les repas sauter parce qu’elle oublie ou prend pas le temps. S’occuper d’elle, voilà un truc qu’elle devrait faire. C’est bien pour ça qu’elle va en thérapie, non ? L’effort pourtant lui semble si grand qu’elle y arrive pas encore, comme si elle était branchée sur un mode automatique qui l’en empêche.

L’ascenseur d’arrête, les portes s’ouvrent pour laisser passer une Esma à l’air pressé. Elle la reconnait aussitôt Sorcha, évidemment. Loin de se rendre compte de la froideur de l’accueil, la petite brune lui adresse un sourire poli. La vérité, c’est que la femme d’Alarik l’a toujours un peu intimidée. Parce qu’elle est très belle déjà, et parce qu’elle dégage une assurance que l’infirmière oserait jamais essayer d’égaler. A côté, elle se sent encore plus minuscule qu’elle l’est vraiment. « Bonjour Esma. Tu viens voir Ala… »
Pas le temps de finir sa phrase, la secousse la fait sursauter avant que tout s’arrête. La tuile, elle la sent avant même qu’Esma la questionne. « J’espère que non… » qu’elle répond, mais à son ton il est évident qu’elle est pas convaincue. Elle se rapproche du panneau de commande et rappuie sur le bouton correspondant à l’étage de la cafétéria. Sans succès, évidemment. Elle se retient de pousser un juron pour éviter que la jeune femme panique, des fois que la situation l’angoisserait. Sorcha reporte son attention sur le bouton d’appel, qu’elle presse longuement. Puis une seconde fois. Nouvel échec. Ce qui en fait l’étonne pas tant que ça, c’est pas la première fois qu’il y a des soucis de ce genre.

« Je crois qu’on est coincées. » Elle se tourne vers Esma, essayant de procéder avec prudence et de se montrer rassurante. « Ca arrive parfois, ça devrait se débloquer dans quelques minutes. » En fait, elle en sait rien. Quelle blague ! La dernière fois que ça s’est produit, c’était elle qui avait besoin d’être rassurée, et c’était dans un tout autre lieu, avec Noah. Leur toute première rencontre… Pourquoi elle peut pas s’empêcher d’y penser ? Ca va faire bientôt un an. Pourquoi elle arrive pas à dépasser ça, à tourner la page ? Pourquoi elle arrive pas à avancer?
Mais c’est pas le sujet. C’est plutôt sur la femme d’Alarik que doit se porter son attention et elle la scrute, guettant le moindre germe de panique. « Ça va aller ? »

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tw : évocation fausse couche - claustrophobie
Esmeralda est une femme jalouse. Une femme impulsive. Esma pour la plupart des gens parce qu’elle n’emploie pas son prénom, jamais, c’est une femme volcanique. Elle a toujours eu un caractère hors de contrôle et son éducation laxiste n’a pas aidé la jeune femme avec la gestion de ses émotions. Faire semblant, elle ne sait pas faire, elle ne connait pas. Tourner sa langue dans sa bouche ? Combien de fois ? Sept fois ? Impossible. L’égyptienne est le genre de femme qui parle avant de réfléchir, trop de spontanéité, trop d’énergie. Il n’est pas rare qu’elle regrette des propos mais sa fierté l’oblige à les assumer. Elle n’a jamais tort, non. Impossible. Cela rend la vie à ses côtés loin d’être ennuyeuse. On ne peut pas dire qu’Alarik s’ennuie avec une telle boule de vitalité à ses côtés. Chaque jour est différent. Esma ce n’est pas qu’une longue liste de défaut complexe. Elle a belle, elle est douce. Elle est fragile sensible. Une part d’elle-même qu’elle ne laisse pas voir, montrer ses faiblesses, ce n’est pas quelque chose qu’elle a appris à faire. Ce qui ne facilite pas la communication. Cela lui a bien fallu son couple, lorsqu’elle n’a pas réussi à surmonter ce qu’elle estime être la plus grosse perte de sa vie. La vie elle-même. Incapable de la porter d’ailleurs et c’est un remord qu’elle garde en elle. Elle n’a jamais réellement fait le deuil de ce qu’elle n’aura jamais, de ce qu’elle ne peut pas offrir à son mari. Elle est habillée de culpabilité à ce sujet. Jamais elle ne sera mère et c’est un fardeau qu’elle n’arrive pas à accepter.

Esma c’est un paradoxe à elle-même. Capable d’être souriante quant à l’intérieur c’est littéralement le chaos. Et comme si la vie n’était pas assez complexe, elle continue d’en rajouter toujours plus. Il y a une profonde lassitude en elle. Elle n’y arrive plus. Ces derniers jours, après son agression, elle a préféré être chez elle, loin de son lieu de travail pour éviter d’y repenser, pour se laisser le temps de cicatriser. La solitude n’étant pas simple à supporter, elle passe donc déjeuner avec son mari à l’hôpital. Le self ne peut pas être pire que si c’était elle qui tentait de faire à manger. Elle a besoin de le retrouver, peut-être un peu plus qu’habituellement. Cela apaise ses nerfs qui sont mis à rude épreuve.

Dans le chaos de l’hôpital, elle se glisse entre les portes métalliques de l’ascenseur qui se referment déjà. C’est trop tard pour voir la personne qui l’accompagne. Une collègue de son mari. Une amie comme il aime la définir. Esma n’est pas sûre de croire qu’il n’y ait jamais eu d’ambiguïté entre les deux. Peut-être parce qu’au fond Sorcha lui ressemble sur certains points et que cela lui fait peur. N’a-t-elle pas disparu neuf mois… neuf années pendant lesquelles Alarik a tenté de se reconstruire. Elle sait qu’il a eu une liaison avec une autre, parce qu’il la pensait morte, elle le sait et cela rend douteuses toutes les femmes qui rodent autour de lui. L’infirmière est sur cette liste. Est-elle couchée avec sa collègue ? Une nuit de garde… un besoin de réconfort. Elle a parfaitement conscience que Monsieur Källström est dans la catégorie homme séduisant. Elle est même très bien placée pour le savoir. Elle aurait préféré que son chemin ne croise pas celui de l’infirmière des urgences. Esma ne sait pas faire semblant, elle essaie, elle essaie du mieux qu’elle le peut. C’est pour Rik qu’elle fait l’effort mais on ne peut pas dire qu’elle soit particulièrement douée. Elle reste polie, elle espère que le trajet ne durera pas assez longtemps que la vétérinaire ne soit pas trop froide. Seulement l’ascenseur semble farceur. Quelques secondes pour comprendre qu’il est à l’arrêt et qu’il ne semble pas disposé à repartir. Bloquée dans un endroit confiné ? C’est bien la dernière chose qu’il fallait à Esma. Qui lui a jeté un mauvais sort pour trainer une telle poisse ces derniers temps ?

Sorcha devient presque invisible. Esma veut sortir. Maintenant. D’ailleurs elle voit à peine Sorcha tenter d’appuyer sur les boutons pour relancer l’appareil. Ce qu’elle entend c’est la conclusion. Coincées. Un regard qui se veut plus dur qu’il ne l’est réellement sur l’infirmière. « - Génial, vraiment, c’est parfait » Elle prend un ton ironique, elle n’aime pas du tout cela. Alarik va l’attendre. Elle sort son portable. Le réseau ne passe pas, c’est bien connu, à quel moment le gars qui a inventé cette boîte de converse qui monte et qui descend c’est dit : Les téléphones portables ? Non, on n’en a pas besoin. Elle peste encore. Et est-ce que ça va aller ? Esma bouille à l’intérieur. La patience n’a jamais été une qualité chez elle. C’est presque inexistant. « - Non ! Bien sûr que non, on est suspendu au-dessus du vide, personne ne semble prendre en compte qu’on est bloqué… Je ne vois pas vraiment comment les choses pourraient aller… » Elle souffle Esma, elle s’affaisse contre la paroi, se laisse glisser par terre. Elle grogne un peu, elle tente de calmer ses nez. « - Alarik va m’attendre… Le téléphone ne passe pas, si tu te posais la question » Elle ferme les yeux, est-ce pour oublier la présence de Sorcha ou le fait qu’elle est bloquée dans un ascenseur. « - Fait chier, vraiment ! » Elle peste une nouvelle fois, c’est sa façon de ne pas fondre en larme par frustration, par fatigue, agacement. Elle jure parce que c’est plus facile, sans se rendre compte que cela ne la rend pas très agréable, face à celle qu’elle prend pour une ennemie. Sorcha n’est pourtant rien de tel. Pourquoi Esma ne parvient pas à le voir ? Pourquoi pense-t-elle qu’elle vaut moins que l’amie de son mari ?

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La voilà sous une forme de pression Sorcha, parce qu’elle sent bien qu’Esma n’est pas particulièrement à son aise. Et pour cause, y a de quoi paniquer, elle non plus est pas franchement sereine dans ce genre de situation. Elle essaie quelques boutons, au hasard, tente une nouvelle fois le bouton d’appel qui ne donne rien (il faudra absolument qu’elle fasse remonter ce problème, c’est vraiment pas normal que personne réponde). L’infirmière se retourne vers la femme de son collègue qui se montre franchement désagréable. Mais ça, l’écossaise ne s’en formalise pas. Des patients qui lui hurlent dessus pour un oui ou pour un non, elle en a eu plus qu’elle pourrait en compter et elle est bien rodée de ce côté-là, alors le mouvement d’humeur d’Esma en comparaison c’est pas grand chose et ça lui glisse dessus. Elle est bien loin de se douter la petite brune, des tourments qui sont ceux de sa compagne d’infortune. La simple idée qu’il puisse avoir ambiguïté entre elle et Alarik ne lui serait jamais venue à l’esprit (ils se connaissent de toute façon depuis trop longtemps maintenant pour qu’elle puisse un jour le voir de cette façon), alors le fait qu’on puisse le supposer, ça c’est à des milliers de kilomètres de ses préoccupations. Aveugle Sorcha, à croire que ne pas voir ce qui devrait pourtant lui sauter aux yeux est devenu un schéma récurrent, voire même un mode de vie. Ça lui a coûté en partie sa relation avec Noah, mais y a aussi tout le reste, tout ce qui continue aujourd’hui à lui échapper, ce qu’elle n’a pas compris, mal interprété.

En l’occurence, elle fait reposer toute la réaction d’Esma sur une possible claustrophobie. Alors, même si clairement elle aussi préférerait être ailleurs, elle s’efforce d’incarner la force tranquille dans toute cette histoire, parce que même si l’épouse d’Alarik n’est pas une patiente, elles sont dans l’enceinte de l’hôpital, et c’est son rôle d’assurer en tant que membre du personnel soignant. Elle s’accroupit pour se placer à sa hauteur. « Je sais que c’est flippant, mais ça va pas durer longtemps. » Enfin elle espère. Elle espère très fort. « L’ascenseur est solide, on est que deux en plus, si tu savais tout le poids qu’il transporte chaque jour… on prendrait jamais le risque d’avoir un ascenseur qui tienne pas le coup dans un hôpital. » Face à la panique, faire appel à des arguments rationnels est en général ce qui marche le mieux. « Et t’inquiète pas pour Alarik, on lui expliquera. De toute façon, un ascenseur qui marche pas ici ça va pas longtemps passer inaperçu, on va vite nous sortir de là, tu verras. » Ça par contre, elle y croit. Elle sait que trop bien à quel point cet appareil est utilisé, c’est évident que quelqu’un va bientôt se rendre compte du problème, si c’est pas déjà fait. En espérant que la panne ne soit que mineure…

L’infirmière lui offre un doux sourire, s’efforçant d’avoir l’air la plus rassurante possible. Elle réalise soudain que c’est bien la première fois qu’elles se retrouvent seules toutes les deux, et qu’elles se sont sans doute jamais parlées aussi longtemps. Faut dire que l’occasion s’est pas présentée. Mais là, il va falloir, n’importe quoi pour changer les idées de la jeune femme. Alors, Sorcha saute un peu sur le premier sujet qui lui vient en tête, inspirée par les quelques guirlandes qui ornent l’intérieur de la cabine. « Tu venais déjeuner avec Alarik, c’est ça ? J’ai cru comprendre qu’il bossera pas pour Noël. Vous avez prévu quelque chose en particulier ? » Aller vers un domaine familier, rassurant, agréable pour si possible apaiser la panique avant que celle-ci devienne trop forte. Bien sûr, si elle s’était ne serait-ce que doutée des soupçons d’Esma, elle aurait opté pour un tout autre sujet…

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Les voilà bloquées. Elles se retrouvent toutes les deux dans cette cage en métal, suspendue au-dessus du vide. Bloquées. L’idée pourrait rendre folle Esma. Littéralement. Parce que bon, elle a vu pas mal de film, toujours accompagnée de pop-corns et dans les films, il arrive toujours des trucs improbables. Et on ne peut pas dire qu’Esma soit un aimant à chance. Sa vie n’est que successions de choses improbables. Elle a quand même défié la mort un nombre de fois qui devient affolant. Pire, aux yeux de certains, elle est revenue d’entre les morts. Un destin incroyable pour une femme qui ne se trouve pas si incroyable que cela. Elle ne veut pas l’être, elle ce qu’elle désire, c’est vivre sa petite vie de vétérinaire tranquille avec son mari qu’elle aime et maintenant leur chien. Dans le projet initial, il faut avouer qu’elle imaginait plutôt des enfants mais son corps l’a totalement abandonné dans cette quête. Elle n’a qu’un corps stérile qui ne veut pas qu’elle porte d’enfants. Le choc est rude, toujours assez compliqué à encaisser mais elle avance, techniquement, elle a un faible pourcentage de mener une grossesse à terme, faible… trop faible. A-t-elle envie de s’infliger fausse-couche après fausse-couche ? Elle n’en est pas sûre. La relève est trop difficile, trop pénible, elle n’a pas envie de faire revivre un tel échec à Alarik. La dernière fois a été trop pénible, ce n’est pas envisageable… elle le sait bien. Ils tentent de voir le bon côté des choses, ils sont tous les deux, ils s’aiment, d’un amour comme on n’en voit que rarement, ça aussi c’est à souligner. Dans son malheur, elle a trouvé l’âme-sœur et c’est quelque chose qui l’anime au plus profond d’elle. Sans Alarik, elle le sait, elle n’est rien. Est-ce que c’est pour cela qu’elle est autant jalouse ? Qu’elle ne se sent pas en sécurité quand on rode autour de son époux ? Elle voit chez les femmes de grandes rivales… notamment quand elles ont des ovaires opérationnels, il faut bien l’avouer. Et l’une d’entre elle, se nomme Sorcha. Une amie de son mari. Soupçonnée même d’être la femme avec qui il a eu une relation durant la pseudo mort de celle-ci. Alarik n’a jamais tenu à lui avouer qui était cette femme. Sans doute pour éviter une énième crise… pourtant il y a parfois chez les femmes un instinct si fort… non là clairement ce n’est pas l’instinct qui parle c’est la jalousie. Elle passe sans doute plus de temps qu’elle avec son mari. Le travail toujours le travail… et elle voit ce qui se passe, dans les séries médicales… et elle craint que cela ne reflète une certaine vérité. Stupide. To-tale-ment. C’est quand même plus fort qu’elle. Depuis son retour, Esma n’a pas tenu plus particulièrement que cela à faire amie amie avec Sorcha, peut-être que c’est une erreur, elle aurait pu comprendre que la jeune femme n’a aucunement l’intention de séparer les mythique couple Källström.

Elle a envie de s’agacer à entendre Sorcha tenter de la rassurer. Elle se retient d’être grossière, Alarik ne lui pardonnerait sans doute pas. Ou du moins il lui remonterait les bretelles. On inspire. On expire, Esma. On se calme. Et puis le stresse de l’enfermement n’aide pas à trouver une forme de patience avec la jeune infirmière. Les infirmières, ce n’est pas le fantasme de tout homme ? Elle n’a jamais été un fantasme pour personne, vétérinaire, génial, la plupart du temps on sent l’animal… ou les produits antiseptiques. Gé-nial en termes de fantasme. C’est sans doute la même chose concernant les infirmières, cela étant, mais ça la jeune femme ne s’en rend pas réellement compte.

Si les arguments pour rassurer Esma sont valides, la vétérinaire ne veut pas les entendre. Elle n’y répond pas. Assise par terre, elle ramène ses genoux sous son menton et fixe un point aléatoire. Sorcha ne tarde pas à parler à nouveau. Impossible de faire comme si elle n’était pas là. Alors les yeux de l’égyptienne remontent lentement vers elle. « - Oui, je venais déjeuner avec mon mari » Est-ce qu’elle insiste sur le mon mari ? Oui, totalement. Peut-être que c’est une façon de marquer son territoire. Pour remettre à sa façon l’infirmière. N’oublions pas qu’elle est persuadée que Sorcha en pince pour Alarik. « - Non, il ne travaille pas, dommage pour toi, peut-être. On fête noël en famille en règle générale » Elle n’a pas envie de s’éparpiller… Mais face à la situation, elle finit par se redresser un peu pour étendre ses jambes, sa tête contre la paroi. Elle soupire, sans cacher une forme d’agacement. « - Puisqu’on est coincé toutes les deux ici, je ne vais pas y aller par quatre chemins. » Elle plonge son regard sombre dans celui de la collègue de son mari. « - Tu as couché avec Alarik ? » Cela évoque bien entendu durant la période où elle était en Afrique. Elle sait que cela est arrivé, elle ne sait juste, pas avec qui. Et peut-être que c’est ce qui la rend si méfiante envers la gent féminine. Qui est cette putain de femme qu’il s’est tapé ? « - On est enfermé dans cet ascenseur, tu peux être honnête, je n’ai pas l’intention de te frapper ou quoi si c’est le cas » Enfin, ça elle n’en sait rien. On sait clairement que la jeune femme a un tempérament volcanique.

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Elle se sent impuissante Sorcha. Elle se rend bien compte qu’Esma est de plus en plus fermée et a aucune idée si ses tentatives de la rassurer ont un quelconque impact positif, ou plutôt tendance à empirer la situation. La vérité, c’est qu’elle-même est loin d’être à l’aise. Elle fait évidemment tout pour ne pas le montrer, mais elle donnerait beaucoup là tout de suite pour que les portes de ce fichu ascenseur s’ouvrent. Sa pause déjeuner vient déjà de partir en fumée et elle aimerait bien éviter de rester là trop longtemps. Ce qu’elle espère c’est qu’on va bien finir par la chercher, ou par s’inquiéter que l’ascenseur ne fonctionne pas. C’est quand même un indispensable, dans un hôpital. Elle aime pas particulièrement non plus rester suspendue au-dessus du sol, d’autant plus que plus le temps passe, plus son imagination a tendance à s’activer. Elle essaie comme elle peut de repousser l’image de Noah, leur première rencontre qui s’est déroulée très exactement dans cette situation. Si elle y pense trop, elle va penser au reste et probablement craquer devant la femme d’Alarik ce qui est vraiment pas une bonne idée. Elle essaie de lui adresser des regards et sourire qui se veulent rassurants, tout en jetant des coups d’oeil réguliers vers les portes, comme si ça allait aider à accélérer le processus.

La meilleure chose serait de trouver un sujet de conversation qui puisse distraire Esma, suffisamment pour lui faire passer le temps et lui faire oublier ce désastre avant qu’on les sorte de là. Mais ça s’avère plus compliqué que prévu tant sa compagne d’infortune semble fermée, probablement morte d’angoisse. Aussi, Sorcha ne perçoit pas le sous-entendu, cette intonation appuyée pour garder son territoire. Elle essaie au contraire, de continuer la conversation, d’animer les choses, même si c’est pas facile sans aucun réel retour de la part de la jeune femme. Les fêtes, c’est un peu un puits bienvenu de possibles questions, sauf que la réponse d’Esma, cette fois-ci, a de quoi l’interloquer. Ce « dommage pour toi » ne tombe pas dans l’oreille d’une sourde et les sourcils de l’infirmière se haussent alors qu’elle se demande d’où sort cette remarque, tout comme l’hostilité qui à présent lui saute aux yeux.

Mais c’est rien en comparaison de la suite, parce que Sorcha a même pas le temps de rétorquer que l’accusation lui tombe dessus sans qu’elle l’ait vue venir, en témoignent ses yeux bleus qui s’arrondissent comme des soucoupes. Et elle peut pas s’empêcher de laisser échapper un éclat de rire atrocement nerveux, sous le coup du choc. Parce que c’est qu’une blague, ça peut qu’être une blague, pas vrai ? Mais Esma n’a pas l’air de rire du tout et l’hilarité de l’infirmière retombe d’un coup sec alors qu’elle se rend compte que sa réaction doit être plutôt malvenue. « Merde, t’es vraiment sérieuse… je… désolée… » Elle sait pas ce qui la choque le plus: l’accusation en elle-même ou l’idée que son ami puisse tromper sa femme. Parce qu’Alarik et Esma, c’est ce couple emblématique qu’on pourrait voir au cinéma. Ils sont amoureux, ils sont proches, ils sont solides, ou du moins c’est comme ça que Sorcha se les imagine. Bon, peut-être qu’elle a tendance à idéaliser la chose, mais de là à imaginer qu’il puisse fauter…

Sauf qu’Esma a l’air de sérieusement y croire. Et le fait qu’elle précise qu’elle n’usera pas de violence ne rassure absolument pas l’écossaise, bien au contraire. Etant donné leurs différences de taille, Sorcha ne donne pas cher de sa peau en cas de combat singulier. « Enfin non, bien sûr que non ! » finit-elle par s’exclamer, encore sous le choc. « Je te jure, il s’est jamais rien passé. C’est vrai qu’on s’est rapprochés depuis… » depuis la disparition de l’épouse Källström, mais ce n’est peut-être pas la peine de l’évoquer maintenant. « Mais on est juste amis, je te jure. J’ai jamais pensé à lui de cette façon et je suis certaine que lui non plus. » C’est absurde. L’idée est totalement ridicule, pas vrai ? Pourtant Esma semble convaincue et la brune a du mal à savoir quoi faire pour apaiser ses craintes et la convaincre qu’il n’y a pas la moindre ambiguïté entre elle et Alarik.

Elle pousse un soupir et essaie de rassembler ses idées comme elle peut, avant de s’aventurer sur un terrain qu’elle sait hasardeux. « Esma… t’es sûre qu’Alarik te trompe ? Je veux dire, il t’aime à la folie, ça se voit, je l’imagine vraiment pas faire un truc pareil… » Elle se demande si elle va se faire casser la figure en fin de compte, parce qu’elle peut sentir la colère émaner de la vétérinaire et elle est pas sûre que celle-ci la croit. L’infirmière comprend mieux maintenant pourquoi elle se montrait si distante avec elle. Bêtement, elle a toujours cru que c’était de la réserve, ou simplement qu’elles se connaissaient pas encore assez. Evidemment maintenant tous les petits signaux lui apparaissent sous un nouveau jour.  

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Elle se sent ridicule Esma. Sans doute l’est-elle mais sur le moment, elle ne voyait pas d’autres issues. Être là, bloquée avec cette femme qu’elle soupçonne avoir été la maitresse de son époux… les choses sortent. Elle regrettera plus tard, comme toujours. Son impulsivité légèrement lui joue des tours. Impossible de la combattre, elle a déjà tenté et à chaque fois, les résultats n’étaient pas des plus concluants. Ce qui l’agace le plus, c’est sans nul doute la réaction de l’infirmière. Elle rit ? Vraiment ? Les sourcils de la vétérinaire s’arquent… elle écarquille quelque peu les yeux… stupéfaite par l’audace. Remarque, doit-on parler de son audace à elle dans l’histoire ? Elle sent un pincement dans la poitrine, elle se sent littéralement humiliée. Est-ce qu’elle a envie de détester cette femme davantage, évidemment. Seulement pourquoi rire dans une telle situation ? Nerveusement ? Parce qu’Esma a mis le doigt sur quelque chose qui la met mal à l’aise ? Maintenant son cœur se met à battre fort, était-elle prête à entendre les mots, les réponses de la collègue de son mari ? Rien n’est plus sûr. Impossible de détacher son regard de la brune. Elle attend d’avoir des explications autres qu’une hilarité incompréhensible. A deux doigts de la relancer… parce qu’elle trouve le temps long… ce qui est relatif puisqu’il ne s’agit en réalité que de quelques secondes. L’impatience légendaire d’Esma Källström. Et puis Sorcha reprend la parole. Sa première réponse laisse sans voix Esma qui ne sait pas quoi penser. Elle attend davantage de dires, d’explications. Et le suspense s’arrête enfin… un soulagement se fait sentir c’est vrai, enfin presque. Parce qu’elle ignore toujours qui est cette mystérieuse femme.

Esma déglutit. Sorcha semble penser qu’il est impossible qu’Alarik trompe sa femme. Et pourtant… Enfin… doit-on vraiment le voir comme tel ? Esma veut juste mettre un visage sur cette femme avec qui Rik a tenté de reconstruire sa vie. Elle en a besoin… mais forcée de constater que l’époux n’est pas des plus coopératifs. La vétérinaire prend son visage entre ses mains, la voilà envahie par la honte… la tristesse… la détresse ? Il est certain que Rik en entendra parler et elle sait qu’une tension sera à prévoir. Il serait peut-être bien venu qu’elle l’avoue directement à M. Källström pour qu’il ne soit pas pris au dépourvu lorsque sa collègue osera lui en parler. Parce qu’elle imagine qu’il pourrait relativement mal réagir à ce genre de choses.

Elle retient des larmes, repenser à un passé certes résolu… mais encore bien présent ne faisait pas parti de ses plans. Sa gorge est serrée, elle met quelque secondes avant de répondre à Sorcha… Une inspiration de courage… une expiration. « - Je… » Elle soupire encore, ferme les paupières, pourquoi se sent-elle autant jugée ? « - C’est compliqué » Finit-elle par lâcher sans savoir si elle doit se confier à une amie de son mari. « - On a eu une mauvaise passe » Elle morcelle les informations, elle fuit le regard de la femme bloquée avec elle. « - L’année dernière a été compliquée… et bref il ne pensait pas me revoir… et il a tenté de refaire sa vie… avec une femme » Un long soupir. C’est à la fois angoissant et soulageant de le dire à voix haute. « - Il refuse de me dire de qui il s’agit… et je ne sais pas pourquoi… enfin si, vous êtes proches… j’ai imaginé que c’était peut-être toi… » Parce qu’au fond, elle ne connait rien de la vie de Sorcha, elle est loin d’imaginer qu’elle aussi elle n’a pas eu une année 2023 aisée.