@elliot vance

Il pousse la porte de la cafétéria en ce mercredi 18 octobre avec une certaine curiosité. Il sait que c’est la deuxième année que l’Australie organise la semaine du goût* mais c’est la première fois qu’il y participe. Après avoir dûment vérifié sur le planning qu’aucuns des chefs, cuisiniers, nutritionnistes, bloggeurs culinaires et autres marmitons ne déclinaient l’identité de son ex, il a inscrit son nom parmi les professeurs bénévoles et on lui a indiqué de se présenter à 10h ce mardi matin  à la cafétéria pour quatre heures de volontariat. Les élèves qu’il croise sont plutôt ravis de le voir et le gratifient de moults salutations et de hey, m’sieur Kealoha enjoués, contents de passer du temps avec leur prof de math sans qu’aucunes équations différentielles ne soient impliquées. Il salue la prof d’anglais et son homologue en français langue étrangère ainsi que l’infirmière de l’école et comprend vite qu’ils sont les quatres volontaires du jour parmi le personnel. On lui indique une longue table où des élèves se sont déjà assis en chahutant, celle du plat principal indique des petits cartons plastifiés. L’ambiance est franchement bonne enfant. Il se penche sur la table pour saisir la feuille du menu, puis consulte la recette - curry japonais, un froncement suivi d’un haussement de sourcils, il a l’impression d’avoir déjà vu cette illustration. Et quand finalement, quand une élève lui indique qu’il peut aller prendre une planche à découper et des ustensiles auprès des dames de cantine, il finit par se retourner et manque de renverser Elliot. Pardon, Elliot ? mais qu’est-ce qu’elle fait là ? Sa bouche s’ouvre de surprise, il se rappelle qu’il a vu cette illustration de curry sur le compte instagram de potnsizzle et il laisse échapper un “ Ha c’est toi l’curry ? ” avant de se ressaisir et de marmonner un “ Pardon, oui, bonjour plutôt. ” Il fait un pas sur le côté pour s’éloigner légèrement. C’est la première fois qu’il la croise en personne depuis qu’il a claqué la porte de sa maison le premier samedi de septembre en lui demandant d’avoir disparu à son retour. Ils ont peut-être échangé quelques sms au cours des dernières semaines qui laissaient présager d’un apaisement poli de la situation mais il ne s’attendait clairement pas à ce qu’elle ait le culot de débarquer sur son lieu de travail à lui. D’ailleurs il lui demande “ Je croyais que tu étais au lycée de Manly ? ” en tout cas c’est ce que laissait entendre la publication instagram. Il la dévisage un instant, essaie de se rappeler leur dernier échange qui remonte à une dizaine de jour. Il se rappelle vaguement lui avoir demandé de se calmer sur les smileys, il ne se rappelle plus si la conversation s’est tarie naturellement ou si l’un de d’eux a oublié de répondre à l’autre. Il a pas mal oublié qu’elle s’était vexée comme un poux. Sa petite préoccupation immédiate c’est de jeter un coup d’oeil autour de lui dans la salle et il est bien content de constater que sa nouvelle flamme n’est pas dans la cafétéria. Parfait, c’est bien une chose de moins à appréhender dans cette rencontre.

* en français dans le texte (jpp je me met à faire des notes de bas de page )

@luther kealoha


T’as cru à une mauvaise blague, quand on t’as annoncé hier soir, à la dernière minute, que ton affectation pour les ateliers de la semaine du goût avait changé. T’as songé un instant à répondre que finalement, t’étais plus disponible, qu’il faudrait faire sans toi, mais tu t’es ravisée. C’est ta réputation et ton professionnalisme qui sont en jeu, et tu ne peux pas te permettre de corner ton image de blogueuse sympathique, proche de ses lecteurs et toujours partante pour transmettre son savoir et partager son expérience pour une raison aussi futile que : mon ex bosse dans ce lycée et je n’ai absolument aucune envie de le croiser. Tu t’es contentée de faire savoir à Liam qu’il n’aurait pas besoin de te déposer au lycée de Manly, que tu pouvais te rendre à pieds sur ta nouvelle affectation, et t’as confirmé ta présence aux organisateurs avec un message enjoué: Can’t wait! Smiley qui sourit. Pouce en l’air, pouce en l’air.

T’es finalement arrivée avec une bonne heure d’avance sur le planning, après que les cours aient commencé pour être sûre de ne croiser aucun professeur -un en particulier-, dans les couloirs, et t’as aidé le personnel de la cafétéria à tout mettre en place. Heureusement, les ingrédients pour le curry japonais que tu avais prévus ont pu être livrés au bon endroit et la recette a pu être imprimée en plusieurs exemplaires pour être répartie sur les tables. Pour l’heure, tu te contentes de circuler entre les tables où les élèves s’appliquent à éplucher les pommes de terre, les carottes et les oignons. Les petits pois ont été écossés à l’avance et attendent sagement dans de grands bacs en inox d’être utilisés. Tu t’arrêtes auprès de quelques élèves pour leur montrer ta technique pour éplucher les carottes en seulement quelques mouvements. Grâce aux économes nouvelle génération, il est beaucoup plus facile d’effectuer des allers-retours et donc de faire moins d’efforts. Ils te remercient et tu poursuis ton chemin entre les tables pour aller retrouver celle depuis laquelle tu es censée opérer. T’as pris de l’avance sur l’épluchage et le découpage de tes propres légumes pour pouvoir intervenir auprès des élèves sans prendre de retard. Tu contournes une table quand tu heurtes de plein fouet le corps imposant de Luther. Ouch. T'as même pas besoin de relever les yeux pour savoir que c'est lui. Tu reconnaitrais son corps et son odeur les yeux fermés... Il a l’air enchanté de te voir, autant que tu sembles l’être toi aussi alors que tu te fustiges mentalement de ne pas avoir pris la peine de vérifier la liste des professeurs volontaires en arrivant. Lèvres pincées, t’as un petit mouvement de la tête, sourcils haussés, quand il constate que: ah, c’est toi. “Bonjour à toi aussi…” Tu fais remarquer avec un sourire forcé avant qu’il ne s’excuse et te salue à son tour. Même si tu n’y as que très peu pensé depuis la dernière fois, t’es toujours un peu vexée par la tournure qu’a pris votre dernière conversation par sms. Tu as mal pris le fait qu’il te reproche de flirter avec lui alors même que tu ne pensais pas à mal. T’as seulement du mal à chasser le naturel, la complicité qu’il y a toujours eu entre vous, dès les premières minutes de votre première rencontre. Ca te manque, vos échanges. Il te manque. T’as beau être avec Liam, et être heureuse de l’évolution de ta relation avec lui, tu ne te leurre pas pour autant quant à la nature des sentiments que tu ressens pour Luther. Tu l’aimes toujours. Sans doute que tu l’aimeras toujours un peu… Pourtant, en cet instant, tu n’es pas spécialement ravie de le voir, et tu comprends vite que la réciproque est tout aussi vraie quand il s’étonne que tu sois ici, et pas à Manly. “Cache ta joie surtout…”. Tu croises les bras sous ta poitrine et tu l’observe avec un léger pincement au coeur alors qu’il scanne la salle du regard dans ce que tu imagines être une manoeuvre pour trouver un échappatoire. T’es loin d’imaginer qu’il s’assure seulement que son nouveau fling ne soit pas dans les parages, de la même manière que fut un temps, il aurait cherché un petit coin tranquille pour que vous puissiez vous bécoter à l’abri des regard indiscrets. “Si ça peut te rassurer, c’était pas mon idée  de venir ici, je m’en serais passée tout autant que toi…”

@elliot vance

Il s’excuse platement d’avoir oublié de la saluer tout en passant une main un peu gênée sur son front. Il se masse la tempe une seconde en essayant de se raisonner. Certes, il aurait préféré la recroiser ailleurs que sur son lieu de travail, et pour autant il n’aurait pas voulu que leurs retrouvailles aient lieu à une soirée entre amis - bonjour l’affiche - et lui paraît peu probable qu’ils se rencontrent en tête à tête, sauf peut-être au surf. Mais elle a l’air à peu près aussi ravie que lui de le croiser et elle lui a démontré pendant leur premier mois de break que si elle se donne la peine de l’éviter elle connaît suffisamment ses habitudes pour ne pas le croiser pendant un moment. Il fallait donc un coup du sort pour les réunir et le karma s’est montré joueur en les réunissant sur son lieu de travail. Ô joie ! Il finit par composer bonne figure et l’interroge sur le lycée de Manly mais le moins qu’on puisse dire c’est que sa réponse ne lui plait pas, voir même pas du tout. Elle lui intime de cacher sa joie et le visage de Luther se ferme, il lui jette un regard inquisiteur et  lui répond “ Oui ? Bah, si je débarque sur ton lieu de travail sans te donner de heads-up, tu la cacheras peut-être aussi. ” de la voix sèche et distante qu’il réserve aux élèves qui croient brièvement pouvoir manquer de respect à leur nouveau prof de math en début d’année. D’ailleurs les dits-élèves derrière eux se sont interrompus et il perçoit quelques regards échangés avec des bouches qui se plissent. Il baisse les yeux, pense une seconde à s’excuser avant de se rappeler qu’elle ne l’a pas volé, c’est bien de sa responsabilité à elle s’ils sont dans cette fucking situation. Il se contente juste d'ajouter d'une voix moins froide " Un texto n'aurait pas été de trop, Elliot. " Il lui faut quelques secondes pour se rappeler ce qu’il lui a dit dans leur dernier échange textuel. Il ne veut pas de ressentiment entre eux. La vérité c’est que si leur intimité est condamnée, leur amitié lui manque et il la regrette profondément. Il s’était habitué à elle ces trois dernières années, à la relation emprunte d’attachement et de tendresse qui les unissait et cela lui manque de ne plus l’avoir à ses côtés. Il a quelque peu fait de sa spécialité de rester en bons termes avec ses exs et il a la ferme intention de ne pas déroger à cette règle avec Elliot. Quand bien même cela lui prendra d’avantage de temps car les circonstances de rupture étaient fucked up as hell et fort indépendantes de sa volonté, il aimerait arriver à un statut quo. Autant pour leur amitié que pour éviter les situations de malaise à l’avenir. Car comme il l’a réalisé en recevant l’invitation de Margot pour Halloween, il a définitivement intégré le cercle social d’Elliot au cours de leur trois ans de relation et vu le mot manuscrit qui accompagnait le carton, ils n’ont pas l’intention de laisser la pièce rattachée leur échapper sous prétexte qu’il a rompu avec leur amie. Il passe une main dans sa barbe cette fois et du bout des lèvres, il avance “ J’imagine que c’est auprès de toi que j’prends mes instructions.” Il a connu des circonstances bien plus plaisantes où il appréciait de voir Elliot aux commandes mais il ravale sa bille et se contente de demander “ Qu’est-ce que j’peux faire pour t’aider ? ”

@luther kealoha


Les bras croisés sous ta poitrine, tu accueilles ses remontrances avec un sourcil haussé. T’es à deux doigts de lui rappeler que ton lieu de travail n’est autre que ta cuisine, et que s’il n’a jamais mis les pieds dans celle que tu occupes actuellement, il a traîné dans les précédentes plus d’une fois par le passé, mais tu t’abstiens. Tu sais que ça n’est pas exactement la même chose et tu comprends sont agacement. Toutefois, ça n’est pas comme si tu avais demandé expressément à venir jouer les professeurs d’un jour dans son établissement. Son ton est froid et ça te fait bizarre, de l’entendre s’adresser à toi de cette façon. En dehors des disputes qui ont gangrené votre relation les derniers mois précédents votre break, tu ne te rappelles pas l’avoir jamais entendu te parler ainsi, et au fond, ça te blesse plus que tu ne veux bien le laisser paraître. “Désolée si à vingt-deux heures la nuit dernière, te prévenir de ma venue ne m’a pas exactement traversé l’esprit. Est-ce que je dois t’envoyer un texto chaque fois que j’ai l’intention de me rendre dans un endroit que tu fréquentes toi aussi ou je sais pas moi, faire publier une annonce publique plusieurs semaines à l’avance? A moins qu’un post instagram ne suffise peut-être? Sans smileys, évidemment...” Tu rétorque avec un sourire forcé, les dents serrées. Tu prends soin de parler suffisamment bas pour éviter que des oreilles indiscrètes qui ont déjà cessé d’éplucher les légumes pour vous écouter ne s’invitent dans votre petite conversation. Pourtant, t’as envie de hurler, faire sortir tout le ressentiment que tu as accumulé depuis qu’il t’as plus ou moins gentiment remise à ta place par texto. T’as pourtant promis que tu ne ressentais rien de ce genre à son égard, mais ça… C’était avant. Avant qu’il te reproche de flirter avec lui pour quelques émoticônes glissés innocemment ça et là dans vos échanges. La vérité, c’est que tu ne pensais pas à mal, tu ne pensais à rien. Tu ne sais plus vraiment comment tu dois te comporter avec Luther. T’as jamais été du genre à rester amie avec tes exs et ils n’ont jamais vraiment manifesté cette volonté non plus. Et puis, il y a ces trois années que vous avez partagés et que tu es incapable d’effacer d’un coup d’un seul, durant lesquelles, même si tu t’es toujours plue à dire qu’il était à la fois ton meilleur ami, ton meilleur amant et ton plus grand amour, vous avez surtout été des amoureux. Vous n’avez jamais été de simples amis, et t’as du mal à faire la part des choses. Sans doute parce que ce que tu ressens toujours pour lui est loin de n’être que de l’amitié. T’espère y arriver un jour ou l’autre, mais dans l’immédiat, et malgré ta relation avec Liam qui évolue dans le bon sens, Luther n’est pas ton ami. Il est ton ex, et ça change beaucoup de choses. Les yeux détournés de lui, tu renifles agacée avant de pousser un soupir résigné quand il te demande quelles sont les instructions, et ce qu’il peut faire pour t’aider. T’es tentée de lui demander s’il connaît une incantation qui te permettrait de l’oublier, une potion, une prière, n’importe quoi, mais tu te contentes de hausser les épaules. T’as pas vraiment envie de l’oublier. Tu veux te souvenir, et être en paix avec votre passé commun. T’as beau être un peu en colère contre lui, tu le pensais vraiment quand tu lui as confirmé ne pas lui en vouloir de t’avoir quittée comme il l’a fait. T’as mérité ce qu’il t’arrive. T’as plus qu’à assumer… “J’ai besoin d’aide pour peser et répartir les épices pour chaque groupe…” Tu finis par souffler. Il y a déjà suffisamment de petites mains affairées à peler les légumes, et tu ne fais pas vraiment confiance à ces gamins pour peser les épices sans jouer avec, ou pire, les confondre, ce qui pourrait carrément gâcher la recette du curry que tu as minutieusement élaborée à partir d’une recette originale.

@elliot vance

Ses lèvres se plissent quand elle commence son monologue, et elles ne se défroncent pas jusqu’à la pique sur les smileys. Pique qu’il ne relève pas car il n’a pas vraiment eu l’occasion de comprendre qu’elle s’était fâchée après qu’il lui ai demandé de se calmer sur les smileys. Il a bien eu l’habitude de la voir bouder de temps en temps quand il commettait des maladresses, il s’est vite rendu compte qu’elle ne tournait pas franchement autour du pot pour vous faire savoir qu’elle était vexée. Il y a dix jours, il s’est certes aperçu que la conversation s’interrompait rapidement après les protestations d’Elliot, mais rien ne lui a paru surprenant dans le silence de plusieurs jours qui a suivi. Ils n’échangent plus beaucoup depuis la rupture et il sait que c’est normal. Donc il est là, au milieu de cette cafétéria, juste contrarié par le sarcasme qui sort méchamment des lèvres de son ex alors qu’il estime qu’il a rien fait pour mériter sa mauvaise foi. Et mauvaise foi il y a, pense-t-il. Quelque soit l’heure à laquelle elle a reçu la nouvelle, il a du mal à croire qu’elle n’ai pas immédiatement pensé au fait que c’était l'établissement de son ex. Ca lui parait franchement improbable. Il proteste en secouant la tête “ T’exagères, j’exige rien de tout ça, et je pense pas que ma demande soit déplacée franchement. ”. Le moins qu’on puisse dire c’est que la situation s’améliore pas quand après lui avoir demandé ce qu’il pouvait faire pour l’aider , elle renifle d’agacement puis soupire de manière résignée. Il a l’impression grandissante qu’il va être à l’agonie pour les quatre prochaines heures si il reste dans le coin. Comme il n’a jamais été du genre à laisser subir,  il recommence à scanner la salle bel et bien pour trouver un échappatoire cette fois. Il le trouve en la personne d’une collègue professeur qui relève les yeux au moment où il regarde la table où elle est assise. Leur regard se croise et d’un automatisme réflexe elle lui sourit, il répond par un hochement de tête avant de faire un mouvement de main qui ne veut pas dire grand chose à part wait a minute. Se tournant vers Elliot, il répond “ Ok, je vais demander à ma collègue de s’occuper des épices et moi je vais heu ” Un nouveau coup d’oeil à la table lui indique qu’il s’agit probablement des stands qui préparent les desserts et de mémoire il répète le menu “ je vais aider à la préparation du gâteau à la betterave, mh ? ” Et il la plante là sans demander son reste. Il a pas besoin de négocier très longtemps pour lui envoyer sa collègue, il n'évoque rien de ses antécédants avec la bloggeuse, il lui fait juste une blague sur le fait que vraiment le pesage des épices ça nécessite les compétences d’une prof de linguistique et prétend que de son côté il a toujours rêvé d’apprendre la recette de lemon frosting du chef qui anime l’atelier dessert. Il passe ensuite l’heure suivante à rapper des betteraves puis à mélanger consciencieusement du sucre, de l’eau et du citron en faisant connaissance avec des élèves qu’il n’a pas encore eu le plaisir d’avoir en classe et en évitant soigneusement de jeter des coups d’oeil à la table d’Elliot.

Ce n’est qu’une heure plus tard, après s’être mis du frosting partout et qu’il ai commencé à cristalliser sur ses avant-bras qu’il se décide à quitter la table pour aller jeter ses gants en vinyle et se débarbouiller. Ce n’est qu’une fois devant les multiples lavabos de plonge qu’il remarque qu’Elliot est là aussi, il se place à côté d’elle en silence, ouvre le robinet à la gauche du sien et finit par demander “ Ca avance bien ton curry ? ”.

@luther kealoha

Oui, tu exagères, mais tu n’es absolument pas prête à l’admettre. Tu te contentes de hausser les épaules -Whatever- et de lui faire savoir ce pourquoi tu as besoin d’aide. Si tu veux qu’il soit mangeable, le curry doit être épicé à la perfection, et tu ne fais pas vraiment confiance aux élèves sur ce point. T’as pas envie de finir avec un plat trop piquant pour être mangé et que tout finisse par devoir être jeté. Un air interrogateur sur le visage, un sourcil légèrement froncé, t'observe le petit manège de Luther qui relève la tête et cherche quelque chose, ou quelqu’un dans la foule. Tu suit son regard jusqu’à une petite blonde qui te semble un peu plus jeune que toi. Quand elle l'aperçoit, elle lui adresse un sourire qui ne laisse que peu de place au doute. Il lui plaît. T’es pas vraiment capable de dire si la réciproque est vraie quand tu reportes ton attention sur Luther. T’es trop occupée à digérer ce qu’il vient de t’annoncer: il n’a pas du tout l’intention de t’aider, ni même de passer du temps près de toi. Bouche légèrement entrouverte, tu l’observe sans vraiment trouver quoi dire au premier abord, puis tu te contentes de hausser à nouveau les épaules et de laisser échapper un petit : “Cool!” que tu lui lances aussi discrètement que possible tout en t’assurant tout de même qu’il puisse l’entendre tandis qu’il s’éloigne déjà en direction de sa collègue. Vexée, un peu blessée aussi au fond, tu ravales ta fierté et les larmes qui te montent légèrement aux yeux et tu t’éloignes de la table où les élèves ont repris l’épluchage minutieux des légumes. Fucking onions…. T’es déjà en train de répartir le cumin dans plusieurs petits bols quand celle qui se présente comme la professeur d’anglais te rejoint. T’as pas tellement envie de lui faire la causette, mais tu t’efforces de te montrer aimable, et au bout de quelques minutes, tu finis par te détendre et par apprécier réellement votre conversation tout en jetant régulièrement des coups d’oeils à la table où Luther est en train de s’affairer lui aussi au milieu de ses étudiants. C’est la première fois que t’as l’occasion de l’observer dans son élément, et malgré toi, un petit sourire vient étirer tes lèvres quand tu constate à quel point il a parfaitement choisi sa vocation. A le voir discuter avec les élèves, l’entendre rire parfois au loin, tu sens ton agacement fondre comme neige au soleil. Tu sursautes presque quand la petite prof d’anglais te demande si vous vous connaissez, toi et Luther. T’as pas envie de t’étaler sur le sujet, encore moins de lui parler de ce qui vous unie vraiment, de votre rupture encore douloureuse, alors tu secoues la tête et tu prétends ne quasiment pas le connaître tandis qu’elle te vante les mérites de celui avec qui tu as partagé les trois dernières années de ta vie. T’es tentée à un moment, de lui faire savoir qu’elle ne t’apprends rien finalement, et qu’elle est même loin, très loin du compte, mais tu te contentes de hocher la tête régulièrement. Tu te souviens d’elle, ou plutôt de la conversation par sms que Luther et toi avez eu à son propos. Si ta mémoire est bonne, elle craque pour lui. C’est Sophie qui le lui a dit, un secret qu’elle n’a pas hésité à trahir, tout en préservant le vôtre, celui de votre petite incartade dans sa salle de cours. Ça ne remonte qu’à quelques semaines, et pourtant, ça te semble déjà si loin…

Quand toutes les épices sont réparties à part égales dans les différents bols, une heure plus tard, tu récupères les contenants initiaux et tu les emmènes au bac de plonge. Faire la vaisselle a toujours été la partie que tu aimes le moins quand il s’agit de cuisiner. T’es du genre à sortir tous les culs de poule et toutes les cuillères à soupe que tu possèdes plutôt que de laver tes ustensiles au fur et à mesure, et tu te retrouves souvent avec une montagne de vaisselle à faire à l’issue de tes expériences culinaires. Heureusement, aujourd’hui, tu fais preuve d’un peu plus de discipline. Après tout, si tu es là, c’est aussi pour donner le bon exemple. Tu te rince les doigts avec minutie, pour faire disparaître les épices jaunâtres qui se sont accumulées sous tes ongles pourtant relativement courts quand Luther vient se poster à côté de toi. Tu détournes le regard vers lui tout en secouant tes mains pour en retirer l'excédent d’eau alors qu’il t’interroge sur l’avancée de ta recette. “Ouais, ils sont en train de faire cuire les légumes. J’ai plus qu’à leur montrer comment faire le roux avec les épices…” Tu réponds sur un ton apaisé tout en t’essuyant les mains sur le torchon mis à disposition. “Et toi, ce gâteau à la betterave? J’arrive pas à dire si t’as cherché à glacer le gâteau, ou toi- même…”, tu plaisantes en lui tendant l’essuie main pour qu’il puisse se sécher à son tour. Tu jettes finalement un regard autour de vous, pour vérifier qu’aucune oreille indiscrète n’est à proximité avant de soupirer. “Ecoutes, Lu… Je… Je suis désolée okay? De pas t’avoir prévenu que j’étais affectée ici hier soir, et d’avoir été une peste tout à l’heure… C’est juste que…”. Tu baisses les yeux et tu te mords l’intérieur de la joue avant de poursuivre: “C’est juste que je sais pas très bien comment me comporter avec toi maintenant que… Qu’on est plus ensemble…”. T’as l’impression que dès la première nuit où t’as posé les yeux sur lui, avant même qu’il ne te prête sa ceinture et que vous finissiez chez lui à refaire le monde, vous étiez déjà liés par quelque chose d’indescriptible, comme s’il était fait pour faire partie de ta vie. Comme s’il en avait toujours fait partie. T’as du mal à te souvenir comment était la vie, avant. Et maintenant, même si tu t’efforces d’avancer, ça te paraît étrange, qu’il puisse y avoir un après.

@elliot vance

Il hoche la tête en gardant les yeux rivés sur son robinet quand elle lui indique que les légumes cuisent et qu’elle n’a plus qu’à leur montrer comment faire un roux Ce n’est qu’en l’entendant le taquiner sur le frosting qu’il s’est mis un peu partout qu’il relève la tête et croise son regard. Il sourit un instant et puis tout en grattant un morceau de glaçage qui s’est cristallisé sur son poignet, il avoue “ Oui, je sais pas trop ce qu’il s’est passé … tout allait bien et puis d’un coup j’en ai eu partout ” se met-il à rire. Il coupe le robinet et examine ses ongles qui sont toujours coupés biens courts à cause de l’escalade. “ Mais le gâteau à l’air bon je dois dire ” ajoute-t-il doucement, comme pour meubler le silence qui s’est installé entre eux. Elle ne tarde pas à le combler également en s’excusant et il lui glisse un regard en biais avant de lui répondre “ D’accord.” La réponse à ses excuses est peut-être un peu dénué d’enthousiasme, mais il n’a pas grand chose à ajouter d’autre, elle a effectivement eu un comportement un poil désagréable une heure plus tôt et il aurait vraiment apprécié un petit warning avant de la voir sortir de nulle part sur son lieu de travail. Il ne ressent pas franchement le besoin de s’excuser pour quoi que ce soit de son côté donc il se contente de lui faire savoir qu’il l’a bien entendu. Il avise les culs de poule et les ustensiles de cuisine sales qui trainent au fond de l’évier en nombre, il ne sait pas très bien à quelles recettes ils appartiennent pour être honnête, mais il faut bien que quelqu’un s’occupe de cette plonge. Donc il remonte les manches de sa chemise et puis tout en se penchant sur le robinet, il lui désigne les torchons à vaisselle qui s’alignent. “ Je nettoie, tu essuies ? ” propose-t-il tout en ouvrant l’eau. Les bruits de vaisselle et d’eau qui coulent leur fournissent un petit surcroît de discrétion quand Elliot commence à lui avouer qu’elle ne sait plus comment se comporter avec lui. Il tourne la tête et la dévisage un instant. C’est vrai qu’il n’avait pas pensé à ça. Il roule sa bosse dans ce monde depuis un peu plus longtemps qu’elle certes. Il a aussi déjà vécu quelques ruptures qui ont pu déboucher sur des amitiés solides une fois le malaise passé, il en est pas à ses premiers pas d’awkwardness quand tu croises ton ex au milieu de nul part. Il connaît les limites à poser parce qu’il a déjà fait les erreurs qui mènent droit dans le mur et il n’a pas envie de les reproduire. “ Ha oui, je vois. ” marmonne-t-il du bout des lèvres en lavant une demi douzaine de fouets de batteurs électriques - sa recette devine-t-il. Dans un premier temps, il ne sait pas trop quoi ajouter mais il finit par l’imiter et jeter un oeil derrière lui - toujours pas d’oreilles indiscrètes, avant de reprendre “ Tu vas apprendre à t’y faire j’imagine, mais bon, disons que la règle de base c’est de rester neutre. Strictement amical, presque boring si tu as un doute. ” plaisante-t-il d’une voix un peu triste. Il sait que c’est probablement moins drôle, mais si il y a bien des gens avec qui il ne se permet pas de laisser flotter une quelconque ambivalence, ce sont ses exs. A moins qu’il ne souhaite les remettre dans son lit, mais comme ce n’est pas franchement ce qu’il veut au programme ici, il s'abstiendra. Ils ont déjà donné pendant leur break, il est un poil vacciné par l’expérience. Il lui tend les fouets et s’attaque à un cul de poule. “ Tous ces trucs que tu m’envoyais avant quand, hé bien tu vois, tu sais … maintenant, c’est fini. C’est pas contre toi personnellement, mais ils ont un sens, il y a un ton qui leur est associé et j’ai pas envie d’y être renvoyé toutes les cinq minutes. ” Il a déjà passé bien assez de temps à se poser des questions cet hiver, il n'a pas signé pour une prolongation des questionnements existentiels dans leur rupture. Et puis comme pour montrer l’exemple, il change de conversation pour un sujet qu’il estime neutre, plutôt curieux de savoir ce qui a bien pu provoquer leur rencontre ce matin “ Ils t’ont dit pourquoi tu étais là alors ? Il y a eu un désistement ici ? ”, mais également désireux de discuter d'un sujet un peu moins personnel alors qu'il voit du coin de l'oeil qu'une ou deux personnes se joignent à eux dans l'espace de plonge.

@luther kealoha

Ca te fait du bien, de l’entendre rire sincèrement après que tu l’ais taquiné. T’as l’impression que ça fait des siècles que tu n’as plus entendu ce son. Pourtant, ça ne fait qu’un peu plus d’un mois que vous êtes séparés désormais. Cette pensée te serre légèrement le coeur, et tu t’obliges à sourire pour ne pas laisser paraître trop d’émotions quand tu hoches la tête alors qu’il fait remarquer que le gâteau a l’air bon. “C’est vrai, j’ai eu du mal à garder mes élèves concentrés tellement ça sentait bon à la cuisson…”. Le silence retombe, et tu finis par en profiter pour t’excuser. Il y a encore beaucoup de choses pour lesquelles tu devrais surement lui demander pardon, pour le gâchis que tu as fait de votre histoire notamment, mais ça n’est ni le lieu, ni l’endroit, et encore moins le bon moment pour le faire, alors tu te contente de lui faire savoir à quel point tu te sens perdue après avoir acquiescé à sa proposition de faire la plonge ensemble et t’être emparée d’un torchon. Tu ne sais plus vraiment comment il convient de te comporter lorsque tu es avec lui. Justement parce que tu n’es plus avec lui. Même là, ici, tout de suite, tu te sens un peu gauche à attendre qu’il ait lavé les premiers ustensiles pour pouvoir les essuyer. Auparavant, tu te serais volontiers appuyée nonchalamment sur le meuble à côté de lui pour discuter de tout et de rien en le bouffant des yeux. Tu te serais sûrement laissée tenter par l’idée de lui fouetter gentiment les fesses avec ton torchon en faisant des allusions grivoises à ce qui pourrait arriver une fois votre corvée de vaisselle terminée. Au lieu de ça, tu te contente d’attendre à une distance raisonnable qu’il ait fini de briquer les fouets tout en esquissant un sourire triste quand il te donne des conseils sur la conduite à tenir désormais. Rester neutre, amicale…Boring. Tu hoches la tête pour confirmer que tu vois parfaitement ce qu’il veut dire quand il évoque vos échanges passés tout en essuyant minutieusement les fouets pour éviter que la rouille ne s’installe sur les pales. “Je… Je vois oui…” Tu souffles en déposant les premiers ustensiles sur le comptoir propre et sec derrière vous. Tu te promets intérieurement d’adopter désormais un ton strictement détaché dans vos prochains échanges. Si tu n’as pas su fournir les efforts nécessaires pour sauver votre amour, tu entends bien préserver ce qu’il reste de votre relation: un semblant d’amitié que tu espères voir s’améliorer avec le temps. Même s’il ne doit plus y tenir le premier rôle, tu ne tiens pas à ce que Luther sorte totalement de ta vie. Tu ne t’imagines plus vraiment une vie sans lui, et si vous ne devez être qu’amis, alors tu apprendras à t’en contenter et à lui souhaiter le meilleur. Parce qu’il le mérite. Tu finis par récupérer le cul de poule qu’il vient de déposer sur l’égouttoir et là encore, tu t’appliques à le sécher entièrement. Pas que tu trouves absolument nécessaire d’éliminer la moindre trace d’humidité sur le bol, mais ça te permet de concentrer tes pensées sur autre chose que ton ex-petit-ami qui poursuit la conversation tout en prenant soin de changer de sujet. T’es soulagée qu’il n’insiste pas sur les conséquences de votre rupture et tu secoues la tête quand il te demande si tu sais pourquoi ils t’ont assignée à ce lycée en dernière minute, plutôt qu’à Manly, comme c’était prévu initialement. “Aucune idée, j’ai juste reçu un mail hier soir pour me dire de venir ici à la place…”. Tu rouvres la bouche pour faire une blague, comme quoi peut-être qu’un des autres animateurs a aussi fait en sorte d’éviter son ex, mais tu décides finalement de t’abstenir, pour éviter de remuer le couteau dans la plaie et de remettre le sujet sur la table. A la place, tu jettes un coup d’oeil vers les nouveaux arrivants. T’adresse un sourire à une femme de cantine dont tu croises le regard puis tu reportes ton attention sur Luther qui est en train de nettoyer un couteau. “Fais attention avec ça hein?”, tu l’avertis avec un sourire. C’est plutôt toi la maladroite entre vous deux mais sait-on jamais, t’as pas envie qu’il se tranche bêtement un doigt avec des couteau de cuisine trop bien aiguisés.

@elliot vance

Se tenir à côté d’Elliot et avoir les mains plongées dans l’eau de vaisselle jusqu’aux avant-bras a quelque chose d’étrange. Quelque chose de délicieusement routinier mais aussi dérangeant parce qu’il sait que c’est une illusion. Il a vite appris au début de leur relation que si elle aimait cuisiner, l’amont d'ustensiles à nettoyer n’était pas exactement la tasse de thé de sa brune. Il a constaté tout aussi rapidement qu’ils avaient deux approches très différentes, elle sortant tous les culs de pouls de la cuisine et vidant le tiroir à couvert ; lui nettoyant aussi bien les ustensiles que les espaces de travail au fur et à mesure. Il est même du genre à aligner les ingrédients sur l’espace de travail en début de recette et à les ranger consciencieusement une fois qu’ils ont honoré leur part du contrat. Elle était probablement d’avis que la vaisselle puisse plus ou moins sécher toute seule, mais lui, il n’aime pas plus voir un évier qu’un égouttoir déborder de tous les côtés. Elle l’a souvent entendu son raisonnement sur la manière dont le bordel envahit l’espace mental. Ils ont été des adultes responsables et ont trouvé des compromis. Ils ont pris l’habitude qu’il mette les mains dans le camboui pendant qu’elle essuyait à ses côtés. A lui les doigts rendus fripés et moites par l’eau savonneuse et à elle la responsabilité de s’assurer que la pile de cul de poule sur l’égouttoir ne devenait pas trop instable. C’était une dynamique de couple, et la revivre en tant qu’entité séparée est un peu étrange. Cela le devient d’autant plus lorsque quelques collègues les rejoignent dans le local de plonge et qu’ils envahissent leur semblant de dignité. Ils ne sont même pas vraiment proches physiquement, mais il a ce réflexe un peu bizarre de s’éloigner d’elle quand il entend les voix d’un collègue et d’une dame de cantine discuter dans son dos. Il lui jette un coup d'œil quand elle lui recommande de faire attention à ses doigts alors qu’il astique un beau couteau de cuisine. Un sourire et il répond “ Mais oui, t’inquiètes pas. ” avant de se pousser légèrement vers Elliot pour laisser de la place à son collègue au robinet de plonge à côté du sien. “ Pardon, excuse-moi Elliot ” s’excuse-t-il quand il l’oblige elle-même à se décaler légèrement pour dégager de l’espace pour le nouveau-venu. Ensuite il échange quelques mots avec son collègue, il apprend que le prof de science est arrivé un peu en retard aujourd’hui mais qu’il a déjà participé à la session de la veille également. Luther lui présente Elliot en lui indiquant que c’est la blogueuse culinaire qui supervise le curry, avant de lui préciser que lui participe au dessert. Il finit par couper le robinet et en se reculant complètement, il dégage la vue sur la jeune femme que son collègue dévisage une minute, avec l’expression perplexe sur le visage qui accompagne une impression de déjà-vu. Un ange passe. Luther se demande la raison de ce silence avant de réaliser qu’il fait partie des collègues que son ex a rencontrés devant sa salle de classe le jour où elle est venue lui apporter une lunchbox. Il toussote, un poil mal à l’aise, et puis recommence les introductions en ajoutant qu’en fait ils se sont déjà croisés au troisième étage, qu’il avait oublié. Le regard de son collègue s’illumine face à cette explication, il rit de Luther en le déclarant chanceux de pouvoir profiter des lunch boxs d’une professionnelle et il salue chaleureusement la brune, avant de lui poser des questions sur la recette qu’elle prépare, pendant que Luther bat en retraite et va chercher un linge sec pour s’essuyer les mains.

@luther kealoha

Tu détournes les yeux quand Luther s’éloigne de toi quand votre petite bulle d’intimité, aussi étrange soit-elle, éclate à l’arrivée des deux autres adultes. Quelques pensées intrusives se forment dans ton esprit alors que tu déposes le dernier fouet, parfaitement sec sur le plan de travail. Est-ce que le fait qu’on vous voit ensemble le dérange? T’essaye de ne pas trop y penser et tu te contentes de lui sourire dans le vague quand il te rassure à propos du couteau, puis de secouer la tête, quand il s’excuse d’avoir à t’obliger à te décaler. Maintenant que vous n’êtes plus seuls dans cet espace restreint, t’as l’impression de savoir encore moins comment te comporter. Vous n’êtes plus Luther et Elliot, il est Luther, et tu es Elliot. Ici plus qu’ailleurs. Tu le laisses être lui-même de son côté, sans toi, et machinalement, tu t’effaces pendant qu’il discute avec son collègue. Les yeux baissés sur son torchon alors que tu t’attaques à un nouveau morceau de vaisselle, tu laisses tout de même tes oreilles traîner du côté des deux hommes et t’as un tout petit sursaut quand Luther te présente. Tu te désintéresses de ton plat en inox pour adresser un petit signe de la main au nouveau venu et t’esquisses un sourire un peu gêné quand il t’observe avec minutie. Tu t’apprêtes à lui demander si tout va bien, si t’as quelque chose sur le visage, mais Luther finit par mettre le doigt sur ce qui cloche et t’as une petite expression de surprise, suivie d’un petit rire quand tu comprends que vous avez déjà été présentés, cet été. La lunchbox… T’as l’impression que c’était il y a des années lumières… “Oh, oui! C’est vrai!” Tu commentes avec un sourire bien plus avenant maintenant que les courtes présentations intervenues ce jour-là te reviennent en mémoire. Rien d’étonnant à ce que tu n’ais pas tout de suite reconnu le professeur de sciences, déjà à cette époque, Luther avait rapidement balayé les présentations. Déjà à cette époque, tu n’étais qu’Elliot, même si un entre deux subsistait. Aujourd’hui, il n’y a plus de doute possible, tu es Elliot, la blogueuse culinaire.

Appuyée contre l’évier, tu échanges gentiment avec le professeur à propos de ta recette. T’essaye de te concentrer sur la conversation, mais maintenant que Luther s’est éloigné, tu le cherches malgré toi régulièrement du regard en te promettant intérieurement que si ça présence t’importe autant, c’est parce qu’il est la seule personne ici que tu connaisses vraiment. Pas seulement parce que sa présence t’as toujours rassurée. Boyfriend or not. T’as du mal à te concentrer sur les questions de son collègue jusqu’à ce qu’avec un sourire de connivence, il te demande ce qui vous unie. Tu  jettes un autre regard vers Luther avant de reporter ton attention sur son homologue scientifique à qui tu adresse un sourire que tu espères convaincant. “Oh… On est… amis.” Simplement amis, même si la situation est plutôt inédite, et pas aussi simple qu’il n’y paraît. T’as beau avoir Liam dans ta vie, apprécier sa présence, être heureuse, c’est différent, et pas moins douloureux pour autant. “Eh ben, j’aimerais avoir des amies aussi sympathiques que les tiennes Luther. Les miennes ne m’apportent pas le déjeuner au travail! Ni même le déjeuner tout court!” Il répond en interpellant ton ex-petit ami à qui tu adresses un sourire désolé.

@elliot vance

Le moins qu’on puisse dire c’est qu’il a battu en retraite rapidement et qu’il a assez lâchement abandonné Elliot à son collègue. Il prend plus de temps que nécessaire pour s’essuyer les mains - elles sont vraiment bien bien sèches quand il libère le tissu je vous l’assure, et profite de quelques élèves qui passent à côté de lui en l’interpellant sur des interrogations à corriger pour tourner le dos à Elliot et le prof de sciences. Inconscient des regards qu’elle lui jette en cherchant sa présence, il se concentre plus volontiers sur les quelques adolescents qui lui parle. Il leur assure que la correction est terminée et qu’il va leur remettre les copies dans l’après-midi, qu’il était vraiment content de voir que les notions compliquées du dernier semestre sont bel et bien acquises. Mais la conversation s’épuise aussi vite qu’elle a commencé car les lycéens l’abandonnent dès qu’ils ont eu leur confirmation. Impossible de prétendre ne pas entendre son collègue l’interpeller en lui disant vouloir compter des Elliot parmis ces amis. Il rit, un rire un peu grinçant et malaisé avant de répondre à son voisin de couloir qu’il devrait peut-être effectivement choisir ses amis de manière plus stratégique. Il se rapproche d’eux puisqu’aucun sauf-conduit ne vient lui faire l’honneur de lui proposer une conversation qui lui permettrait d’échapper à cette situation et qu’il serait assez malpoli de s'éclipser à nouveau alors qu’on vient clairement de lui adresser la parole. La discussion ne s’éternise pas bien longtemps et il finit par demander à Elliot “ Mh, je pense que j’ai pas mal rempli mon devoir avec les desserts, est-ce que tu as besoin d’aide pour quelque chose avec ton plat ?” avant d’ajouter avec un sourire penaud “ Promis, je ne me défilerai pas cette fois ” en évoquant le move qu’il a fait une heure plus tôt en lui envoyant une collègue après qu’elle lui ai indiqué qu’il fallait s’occuper des épices. Il la suit tranquillement et cherche un sujet de conversation neutre et polie, le seul qu’il trouve sur le moment étant leurs jobs respectifs il finit par lui demander “ Ça se passe bien le travail ? Le blog tout ça ? ”. Elle n’est pas la seule à trouver quelque peu délicate la transition d’amoureux à connaissance amicale.