Diego avait neuf ans quand son monde a basculé. Lui et son jumeau Thiago venaient d’être placés dans un nouveau foyer. Une famille bien sous tous rapports. Des gens qui semblaient prêts à leur offrir un semblant de normalité. Sauf qu’il y avait toujours quelque chose qui clochait. Les parents d’accueil étaient aimables mais distants et l’atmosphère de la maison était glaciale. Mais Thiago… il avait ce don de rendre tout supportable. C’était lui l'enfant solaire, celui qui savait sourire même quand le ciel était noir. Ils dormaient dans la même chambre, se réveillaient ensemble, et même quand ils se disputaient il étaient soudés la seule famille l'un pour l'autre. Jusqu’à ce fameux jour où tout a changé. Diego se souvient encore des détails de ce funeste jour : la lumière grise qui filtrait par la fenêtre, l’odeur des toasts brûlés dans la cuisine, le grincement du parquet sous ses pieds nus. Thiago n’était pas là au réveil. il n'était pas dans son lit, pas dans la salle de bain, pas dehors. Au début, Diego pensait que son frère jouait à cache-cache et qu’il finirait par surgir en riant d’un coin de la maison. Mais les heures ont passé, et l’inquiétude s’est transformée en panique. Il l'a cherché partout mais il n'est jamais revenu. Les adultes de l'époque parlaient de fugue, de maladresse administrative, de transfert non signalé. Un tas de mots compliqués que Diego ne comprenait pas et lui tout ce qu'il voulait c'était revoir son frère mais il avait disparu. Emporté, effacé, comme s’il n’avait jamais existé. Il n’y avait pas eu d’au revoir, pas de signe avant-coureur. Juste ce vide soudain et terrifiant. On a fini par lui dire d’oublier, de passer à autre chose, que ce n’était pas sa faute. Mais Diego s'est toujours senti responsable, il aurait dû protéger Thiago. Et cette culpabilité, cette sensation d’avoir échoué, ne l’a jamais quitté...

Quand Hugo l’a appelé pour lui dire qu’il était devenu père, Diego n’a pas su quoi dire. Hugo, son frère d’armes, son meilleur ami, venait de passer dans une autre dimension de la vie. Alors, quand il lui a parlé du baptême et du fait qu’il serait le parrain de l’enfant aux côtés d’Hazel sa petite soeur, il a promis de venir, même s’il ne savait pas vraiment pourquoi ni comment il allait gérer ce type de situation. Le jour J, il est arrivé mal à l’aise, les mains dans les poches, un léger sourire crispé sur le visage. Mais il savait qu’il devait être là. Pour Hugo. Et puis, il l’a vue cette jolie jeune femme. Hazel. Plus si petite que ça d’ailleurs. Elle avait grandi, transformée en une jeune femme pleine de grâce et de caractère. Elle était là, tenant le bébé dans ses bras, le regard lumineux et le sourire radieux. Il a eu un choc. Sa beauté l’a frappé de plein fouet. Elle s’est approchée de lui, un sourire moqueur illuminant son visage et lui a lancé sur un ton qui se voulait léger : « Finalement, t’es pas si mal pour un vieux » Ses mots l’ont désarçonné plus qu’il ne voulait l’admettre. Il a éclaté de rire faussement détaché, jouant les indifférents alors qu’il se sentait totalement déstabilisé. Elle n’était plus la petite Hazel qu’il connaissait, elle était ravissante et c’était très troublant. Mais c’était aussi très dangereux parce qu’entre frères, il y avait un code. Un pacte qui interdisait de porter un autre regard sur la famille des uns et des leurs et il le savait. Pourtant il n'arrivait pas à détacher ses yeux d’elle. Ils ont passé le reste de la soirée à parler. Plus la soirée avançait, plus il se sentait piégé. Alors, fidèle à lui-même, il a choisi de s’éclipser avant la fin. Il n’a pas dit au revoir, n’a pas cherché à expliquer. Il est juste parti et il s’est promis de ne plus jamais laisser son esprit dériver dans cette direction. Hazel était une ligne qu’il ne franchirait jamais.

(un) Il posséde une vieille boussole qu’il garde précieusement depuis des années. L’objet est cabossé, le verre rayé, mais il ne s’en séparerait pour rien au monde. Pour lui, c’est plus qu’un outil, c’est ce qui l’a toujours mené sur la bonne route, même dans les moments les plus sombres.(deux) Il garde toujours un carnet Moleskine noir sur lui.  Il y note des pensées, des idées de photos ou des fragments de souvenirs qu’il ne veut pas oublier. Mais surtout, on y retrouve des croquis. Il dessine avec une précision souvent des portraits de femmes croisées en chemin. Il s’arrête sur chaque détail, comme s’il cherchait à capturer leur beauté unique, ou peut-être, une part de lui-même.(trois) Quand il est trop en colère pour se contenir, il enfile ses baskets et part courir. Il court, le souffle rauque, jusqu’à ce que ses muscles brûlent et que la rage se transforme en épuisement. Il martèle le sol, les yeux fixés devant lui, se vidant de sa rage jusqu’à ce que le calme reprenne le dessus. Il a besoin de sentir ce passage entre fureur et fatigue, de s’éprouver pour retrouver sa serénité. (quatre) écrire ici, un tic ou une manie, une anecdote sur ton personnage. (cinq) Il a toujours un briquet Zippo sur lui, même s’il ne fume plus. Gravé de symboles militaires, c’est un cadeau de Kai, un rappel des missions qu’ils ont partagées. Parfois, il le fait tourner dans sa main par automatisme, perdu dans ses pensées. C’est un porte-bonheur, une ancre vers ce qu’ils ont vécu ensemble.(six) Chaque année, à la date de la disparition de Thiago, il se retire dans un endroit reculé, loin de tout. Il prend un jour, seul, pour que personne ne le vois pleurer. Il n’a jamais révélé ce rituel à qui que ce soit. Ce moment lui appartient. Juste lui et le fantôme de son jumeau.(sept) Il a ce tic de se masser la nuque quand il est nerveux, surtout face à une femme qui lui plaît vraiment. Il ne le montre pas, garde son regard d’acier, mais ce geste le trahit. Se frotter la nuque, comme s’il cherchait à effacer ce qui pourrait se lire en lui. (huit) Il est maniaque avec la photo, il peut passer des heures à chercher la lumière parfaite, l’angle qui rendra justice au paysage ou au visage qu’il a devant lui. Mais une fois qu’il a saisi l’instant, il peut aussi tout effacer d’un coup, s’il sent que quelque chose manque. Un instinct de perfectionniste qu’il maudit parfois.(neuf) Son van, c’est sa maison. Il l’a aménagé lui-même, à son image. À l’intérieur, rien de superflu : un lit simple, une table pliante, quelques étagères remplies de vieux bouquins, et son matériel photo bien rangé dans un coin. Tout est sobre, fonctionnel et parfaitement à sa place. (dix) Avant chaque mission, Diego prenait le temps de connaître chaque homme de son escouade, d’écouter leurs histoires, de savoir qui les attendait à la maison. Ce n’était pas juste une formalité mais c'était surtout une façon de se promettre de tous les ramener vivants. (onze) Malgré son allure de baroudeur solitaire, Diego a un sens de l’honneur presque archaïque. Pour lui, une promesse faite est sacrée. Si un de ses proches a besoin de lui, peu importe où il se trouve dans le monde, il décrocherait son téléphone, mettrait les voiles, et serait là, coûte que coûte. C’est l’une des rares choses sur lesquelles il ne transige pas. (douze) Son sourire est rare, et ceux qui le connaissent savent qu’il n’en use jamais pour mentir ou manipuler. Quand Diego sourit, c’est sincère, c’est entier. Un sourire qui illumine son visage et adoucit l’ombre qui le suit partout. Mais il ne le montre que quand il se sent vraiment bien avec une personne. (treize) Il a gardé quelques habitudes de l’armée : se lever à l’aube, tout plier avec une rigueur quasi militaire, et n’avoir que l’essentiel. Pas question de s’alourdir de ce qui est inutile. C’est comme ça qu’il arrive à rester libre et léger, prêt à repartir à tout moment. (quatorze) Il n’aime pas trop se dévoiler, mais quand il prend la parole pour parler de ses aventures, c’est toujours pour raconter des histoires. Des récits d’endroits qu’il a vus, de gens qu’il a croisés. Mais jamais rien sur lui. (quinze) A l'armée, il s'est spécialisé dans le repérage sur le terrain. En mission, il pouvait lire la topographie d’un environnement hostile. Ses compétences l’ont vite distingué et il a fini par devenir sergent. Il guidait ses hommes avec la promesse de les ramener tous entiers. (seize) Diego rêve secrètement de voir un jour ses photos accrochées aux murs de la National Gallery of Victoria. Mais pour l’instant, il se contente de les poster sur son blog et ses réseaux sociaux. (dix-sept) Chaque fois qu’il retrouve Wes, Diego lui propose un verre, une bouffe, un plan d’aventure à la con. Comme avant. Il le pousse doucement, essayant de lui redonner un peu de cette flamme éteinte. Mais sans jamais forcer. Wes a souvent été son compagnon de route mais il a changé. Depuis une mission qui a mal tourné, il n’est plus le même. Ses yeux sont éteints et sa joie semble avoir disparue. Diego le voit bien mais par pudeur il n’ose pas aborder le sujet.